Le Ministère de la Magie du monde d’Harry Potter est bien connu des fans. Institution garante de l’ordre public et des secrets du monde des sorciers, elle veille justement à ce qu’il n’y ait aucune collusion entre Sorciers et Moldus. Toutefois, le Ministère est une institution récente. Pour exemple, lorsqu’Harry Potter entre à Poudlard, il apprend que l’école fut créée un peu plus de mille ans auparavant, soit aux alentours du Xe siècle. L’on sait par ailleurs que jusqu’en 1700, le Ministère fut précédé d’un « Conseil des sorciers », qui se réunissait une fois par an et était aussi bien composé de sorciers que d’êtres non-humains, comme les gobelins ou les fantômes. C’est en fait à partir de sa formation qu’il paraît détenir des compétences gouvernementales, soit parallèlement à la construction de l’État dans son acception moderne. Ses prérogatives sont toutefois limitées dans de rares cas. L’on apprend ainsi dans le tome 2, La Chambre des Secrets, que le conseil des parents d’élèves peut relever le directeur de Poudlard de ses fonctions sans que le Ministre de la Magie ne puisse rien y faire, probablement au nom du principe d’antériorité. Néanmoins, si le régime totalitaire mis en place par Voldemort est largement souligné comme oppresseur, l’effet de contraste avec le fonctionnement habituel du Ministère n’est pas aussi accentué que cela. Ainsi est notamment mis en place tout un système de renseignement qui permet au Ministère de déceler les enfants pourvus de dons permettant leur inscription à Poudlard, mais aussi de savoir si, au cours de leur scolarité, ils font ou non-usage de la magie, qui est prohibée pour les mineurs. Cependant, les moyens utilisés pour conserver le secret de la communauté magique soulèvent plusieurs problèmes juridiques, notamment en matière de conflit de normes. Si l’autrice n’a jamais décrit le fonctionnement organique ou institutionnel du Ministère, elle a néanmoins semé plusieurs indices au fil des sept tomes d’Harry Potter qui permettent une appréhension de ses pouvoirs. Ce dernier empiète effectivement bien souvent sur des compétences réglementaires, voire législatives, sans aucun contrôle de légalité du gouvernement, mais aussi sur la souveraineté même des États. L’on constate en effet un cas flagrant d’ingérence dans la possibilité qu’ont les sorciers de « transplaner », ou d’utiliser des « portoloins » soit de se téléporter, au mépris de toute souveraineté territoriale. Ces prérogatives nous poussent alors à nous interroger sur divers points, aussi bien dans ses liens avec le gouvernement britannique que l’étendue de son pouvoir réglementaire ou décrétal (dont il est largement fait usage dans le tome 5, L’Ordre du Phénix), mais aussi dans les actes d’ingérences dont le Ministère lui-même fait preuve. Lire la suite
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La vanité dans l’œuvre de Dino Buzzati
Dino Buzzati est le représentant le plus fameux de la littérature fantastique italienne du XXe siècle, avec Italo Calvino, malgré l’absence de tradition littéraire en ce domaine au siècle précédent. Ses récits les plus connus en France, Le Désert des Tartares et le recueil de nouvelles intitulé en France Le K, font la part belle au surnaturel et aux contes. Cependant, contrairement au fantastique français ou germanique, le fantastique italien, lorsqu’il renoue avec le folklore, sert un propos foncièrement ironique, voire satirique. Comme le soulignait Stéphane Lazzarin dans le cahier Transalpina « L’ombre et la forme », le fantastique italien est un genre littéraire qui a brûlé les étapes, passant de la littérature souterraine à l’intellectualisme sans véritable intermédiaire. Les qualités indéniables de l’œuvre de Buzzati témoignent de la réussite de l’entreprise, aussi bien au travers de son style que de l’originalité de ses récits, confirmant qu’un génie national en la matière existait bel et bien dans la péninsule. Les deux ouvrages susmentionnés sont représentatifs de cette qualité, aussi littéraire qu’intellectuelle. Toutefois, force est de constater qu’un thème récurrent fait la spécificité de Buzzati. Qu’il s’agisse du Désert des Tartares ou du K, l’écrivain aborde la plupart du temps la notion de vanité dans ses deux acceptions principales ; celle de toute entreprise vaine et futile comme celle de l’autosatisfaction, ou plutôt de l’orgueil, octroyant à ses récits une dimension très pascalienne. Au final, l’œuvre buzzatienne se révèle être ce fameux genre de nature morte qui porte elle-même le nom de vanité, exhibant la finitude humaine, finitude d’autant plus grande qu’elle est faite de futilités orgueilleuses. Lire la suite
La violence sexuelle dans les Contes de fées
Les Contes de fées sont comme autant de manuels de la Vie pour les enfants, du moins est-ce l’image que l’on s’en donne volontiers, image que nous avions déjà fortement nuancée dans notre conférence sur les Contes. Cependant, le cas de la sexualité, aussi bien dans le rapport au sexe que les mœurs liées au sexe, renforce le rôle conservateur des contes, malgré de nombreux psychanalystes qui s’évertuent à les voir pour ce qu’ils ne sont pas : une littérature émancipatrice. Les contes ne sont pas émancipateurs, au contraire ; ils s’inscrivent dans la préservation de certaines mœurs, de certaines conventions sociales. Leurs représentations du sexe en témoignent, et sont double, car les contes procèdent soit par allégorie, soit les abordent concrètement, sans pour autant s’épancher sur l’acte lui-même. Ces deux représentations posent un dualisme inhérent à cette question, car la morale afférente à chacune d’entre elles est différente selon qu’il s’agisse d’une représentation allégorique ou non. Dans ce premier cas de figure, le Petit Chaperon Rouge demeure le meilleur exemple, car l’allégorie repose sur le personnage du Grand Méchant Loup et la tentation de l’héroïne de s’écarter du bon chemin, au sens de via recta, pour s’égarer. La représentation allégorique sert donc une morale préventive, l’allégorie du loup et du chemin traversant les bois agissant comme une mise en garde. À l’inverse, les représentations concrètes du sexe servent une tout autre morale ; celle de l’acceptation du patriarcat dans ce qu’il a de plus phallocratique. Le génie des Contes résidant en ce qu’il s’adresse justement aux enfants, leur message peut ainsi se graver dès le plus jeune âge dans les esprits afin qu’une fois adultes ils considèrent définitivement leur morale comme fait naturel et naturellement accepté par tous. Ainsi, la question de la violence sexuelle dans les Contes de fées est perverse, car elle consacre la soumission totale et inconditionnelle des femmes telle qu’on peut la voir théorisée par Platon dans sa République. Lire la suite
Contes et légendes, antécédents de la culture populaire
Les folklores dont sont imprégnés les contes de fées et les légendes ont forgé les imaginaires, d’où qu’ils proviennent. Nous avons tous une pensée aux Mille et Une Nuits quand on nous parle du Moyen-Orient, aux frères Grimm quand nous parlons de culture germanique, ne serait-ce que par l’intermédiaire des djinns ou de Blanche-Neige. Les contes recouvraient aussi bien un rôle culturel que social, parce que justement leur rôle culturel était la cohésion de la société. En garantissant un imaginaire collectif, dans lequel des communautés pouvaient se reconnaître, mais aussi se distinguer des autres, les contes et les légendes étaient les prémices de ce que l’on appelle aujourd’hui la culture populaire. Ils sont le creuset dans lequel se développeront ensuite la littérature gothique, la fantaisie et la science-fiction. Que seraient les Elfes et les Nains sans la mythologique germanique, les trolls et les dragons sans les contes ? Il y a une continuité inébranlable de la culture populaire depuis que l’Homme sait raconter des histoires, et le rôle de cette culture populaire nourrissant l’imaginaire collectif n’est rien de moins que de rappeler à l’être humain à quel point il est humble devant la nature, et ce parce que « les contes sont vrais », comme le disait Italo Calvino. La petite phrase de Chesterton s’applique pleinement aux contes de fées ; ils sont « le ciel qui juge la terre ». Leur mise au banc de la littérature par une élite aussi autoproclamée que nihiliste ne fait que conforter leur importance culturelle ; il n’y a que la civilisation des machines pour rêver d’une culture… acculturée. Lire la suite