Le Vicomte Pourfendu

Calvino

Le Vicomte Pourfendu est l’une des œuvres les plus connues d’Italo Calvino, et premier conte de la trilogie héraldique (qu’il n’a jamais achevée). Contemporain de Pasolini, Calvino est connu et reconnu comme fabuliste. Partant du néoréalisme, il finit cependant attiré par l’univers merveilleux des contes, et produirait même un bréviaire du folklore légendaire de la péninsule italienne. Le Vicomte Pourfendu, bien qu’empruntant beaucoup au conte sur la forme, est surtout porteur d’une philosophie autour du manichéisme. Loin cependant de s’égarer dans un discours moraliste, Calvino choisit de démontrer que Bien et Mal s’équivalent, surtout dans leurs extrêmes.

Prenant place après une guerre du Saint-Empire Romain Germanique contre les Turcs en Bohême, Le Vicomte Pourfendu est narré par un neveu du vicomte éponyme, plusieurs années après les faits. Ce dernier, lors de la guerre, et comme le titre l’indique, s’est vu coupé en deux par un boulet de canon. Par miracle, une moitié semble toujours bien en vie, et est aussitôt rapatriée en Italie, à Terralba. Aussitôt revenue, sa personnalité semble altérée pour son entourage. Le Vicomte devient un véritable tyran s’illustrant dans les actes les plus vils pour opprimer son peuple, avec un sadisme qu’un certain marquis n’aurait pas dédaigné dans l’une de ses œuvres. Cela va jusqu’à charger un artisan de confectionner des engins de mort les plus sophistiqués les uns après les autres, au point d’élever la pratique du gibet au rang d’art. Si cette première partie permettait d’affirmer que l’homme est foncièrement mauvais, cette présupposition est brisée par la venue impromptue de l’autre moitié du Vicomte qui, à l’inverse de la première, est foncièrement bonne.

Cette opposition entre bien et mal, bon et mauvais, n’est bien sûr pas originale, mais le propos de Calvino est innovant dans la mesure où, à partir du moment où la moitié vertueuse revient, la démonstration de son conte philosophique réside dans l’idée que bien et mal sont en fait aussi redoutables et néfastes l’un que l’autre. Le bien, ou le bon, poussé à l’extrême engendre une vision puritaine du monde, qui consiste à faire don de soi au point d’en être aussi inhumaine que la perversité de son homologue. Cette allégorie justement est la clef de voûte du conte de Calvino ; il ne sert à rien de compenser le mal par la bonté, surtout quand celle-ci est aussi totalitaire et totalisante. Bien et Mal sont donc considérés comme aussi aliénants que n’importe quel prométhéisme. Ce n’est qu’au moment où le corps du Vicomte est reconstitué qu’il redevient humain, recouvrant bon et mauvais en son sein, soit imparfait. Calvino ne donne finalement ni raison à Rousseau ou Hobbes ; il ne prétend pas qu’il faille aimer l’homme pour ce qu’il est au lieu de ce qu’il fait, ni l’inverse. Pour lui l’humain est bloc, dont l’être est indissociable de ses actions, puisque ces dernières sont définies précisément par son être. L’on serait bien tenté d’y voir un aspect profondément nietzschéen ; la morale est aussi dressée contre la vie que la perversité, et la fusion des deux moitiés perçue comme dépassement de leurs natures serait une allégorie du surhomme. En redevenant « Un », le Vicomte serait de nouveau mû par un nomos de la vie et de la terre, si chère à Nietzsche ; le triomphe dionysiaque contre les valeurs apolliniennes de ses parties.

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