Sorti en 1894, « L’An 330 de la République » ne figure pas parmi les ouvrages les plus connus de cette fin de dix-neuvième siècle. Pourtant, l’ouvrage vient d’être réédité en mars dernier aux éditions Jean-Cyrille Godefroy – connu pour la publication de nombreuses collections sur le patrimoine français – et préfacé à Esculape Marsala, journaliste à Causeur – le fameux journal d’Élisabeth Levy – et spécialiste de l’utopie et de la contre-utopie. Le choix de la couverture n’est d’ailleurs pas innocent, la chute de Constantinople s’apparentant parfaitement au propos du livre.
« L’An 330 de la République » est donc un ouvrage de l’écrivain, avocat et homme politique français, Maurice Spronck, mort en 1921. Celui-ci était un des compagnons d’armes des figures historiques du nationalisme républicain que furent Maurice Barrès et Paul Déroulède. Il se définissait comme nietzschéen et romantique.
L’ouvrage dépeint une Europe unifiée aseptisée et mourante dont le coup de grâce final sera porté par un islam conquérant et belliqueux. Il se divise en 5 chapitres partant des fêtes d’Orléans pour arriver sur les critiques de la société dépeinte et aboutissant à l’invasion finale.
L’Europe décrite par Spronck est une Europe totalement gangrenée par les idéologies humanistes et progressistes, où les œillères idéologiques ont remplacé l’inscription nationale et humaine dans l’Histoire. La critique est profondément décadentiste, où les abus progressistes sont la cause principale du déclin d’une civilisation.
Après plusieurs rappels historiques sur la Deuxième République, Napoléon III, la Commune ou encore la question de l’Alsace-Lorraine, qui marquent un ancrage de l’auteur très profond dans les thématiques de son temps, celui-ci décrit l’unification de l’Europe par pacificisme, avec une liquidation des armées et des nations considérées comme génératrices de guerres. Une critique agressive de la décadence du modèle républicain postbonapartiste d’après moi, du modèle républicain tout court pour d’autres, ainsi que des méfaits de la Révolution française.
Cette liquidation se fait sans accord des peuples et avec une forte réticence des Britanniques, ce qui, en plus de cet ancrage, en fait un ouvrage terriblement visionnaire.
Cette unification s’est faite au nom d’un progrès qui n’est pas sans rappeler celui de l’époque de Spronck, où les élites majoritaires sont persuadées de la supériorité de la « race » européenne. L’exemple le plus flagrant est ici le traitement de la délinquance. On y retrouve un paradigme terriblement d’actualité au niveau du lien entre criminalité et éducation ; un paradigme démonté dans la fiction de Spronck. De même, le sport y est devenu totalement inutile, car la force physique n’a plus aucun intérêt dans la société. Les produits stupéfiants et l’alcool sont réprimés au nom, toujours, de cette sacro-sainte idéologie progressiste, considérant les performances de ses utilisateurs, dans la veine de Baudelaire et l’absinthe par exemple, comme anecdotiques. Cela impacte naturellement sur l’image de l’homme occidental ; obèse et impotent, dont la Maire d’Orléans constitue l’échantillon le plus représentatif ; condamnée à se déplacer dans une espèce de fauteuil roulant articulé, engoncé dans plusieurs gaines pour amoindrir son physique ingrat.
Les ennuis du progrès sont ici légions, au point que les élites ont pris la décision de pathologiser toute réaction. On y trouve des phénomènes sociaux bien connus de notre temps comme la baisse de la natalité, le suicide, l’ennui, la dépression, tout en ayant la chance de pouvoir vivre plus longtemps en bonne santé dans une Europe qui connut un exode rural d’une folle actualité du temps de Spronck.
Ce progrès se manifeste également par une nouvelle transcendance qui a remplacé le déisme des sociétés traditionnelles : la science, pratiquée notamment via une médecine de Diafoirus en culottes courtes. Ceux-ci travaillent sur des individus difformes. On trouvera par exemple dans cet ouvrage l’évocation d’un être humain maintenu en vie, mais sans tête. Si vous y voyez un intérêt, n’hésitez pas à nous écrire. Je cherche toujours.
À côté de ce progrès se trouve naturellement l’humanisme, du moins de nom, puisque la société va s’évertuer à changer l’homme, niant justement ce qui fait l’Homme. Une idée proche d’une gauche socialiste en pleine formation à l’époque.
Le traitement de la délinquance y est une nouvelle fois un bel exemple, avec des criminels – nommés « criminomanes » – surveillés dans des prisons tout confort par « pitié humaine ».
Sur le plan économique, l’Europe que décrit Spronck se rapproche d’une société soviétique, avec une organisation du travail repensée, mais bien différente sur d’autres points du rêve communiste.
En effet, l’économie, reposant sur des richesses surabondantes, est nourrie à l’immigration de travail venue de Chine et de milices musulmanes. Une façon pour l’auteur de dénoncer ainsi l’immigration comme armée de réserve du capitalisme, grande thématique d’une partie des nationalistes français de notre début de vingt-et-unième siècle.
Sur le plan institutionnel, une nouvelle fois l’auteur semble s’être inspiré d’un vieux rêve de la gauche autogestionnaire puisque fondé sur une sorte de fédéralisme appliqué aux communes. La ville d’Orléans y devient même indépendante. Ces institutions, dans le même temps, laissent les clefs au règne des bureaucrates et des administrateurs. L’exemple typique est de la commission de criminologie qui change d’avis toutes les semaines.
Cet humanisme et ce progrès ont donc remplacé les valeurs traditionnelles, qui prendront pourtant le dessus sur ce néant philosophique.
En effet, cette magnifique société des Lumières va finir par mourir, de façon brutale et rapide, par sa confrontation au réel qui n’est pas celui fantasmé par ses idéologues. Cela ira à sa perte lorsqu’un sultan belliqueux et sans pitié se mettra en tête de conquérir l’Europe.
Cette dernière se fiera à ses vieilles lunes de belles paroles diplomatiques pour sauver ce qu’il reste, pendant que les colonies sont progressivement perdues.
Un islam qui semble bien antagoniste à l’Europe dépeinte par l’auteur, puisqu’il se fonde sur un socle de valeur et un chef fixant un cap. Cependant, ce conquérant n’est pas sans rappeler la figure du Surhomme nietzschéen. Émancipé des fioritures bien terrestres des Occidentaux, assuré de libérer le Vieux Continent du « grand cadavre mort du monde moderne », comme le disait Péguy. L’on retrouve donc l’idée d’une pureté non pas raciale, comme l’imaginait la société dénoncée par Spronck, mais de mœurs, et dans son rapport à la terre. Conclusion ô combien réactionnaire, mais propre au courant décadentiste qui dominait notre fin de XIXe siècle.
« L’An 330 de la République » est donc une critique anticipée et acerbe de ce que l’Europe occidentale va ou pourrait proposer comme projet politique et philosophique. Un potpourri de la pensée décadentiste du dix-neuvième siècle qui en fait un grand manifeste réactionnaire contre un esprit des Lumières qui n’éclaire plus rien.
27 septembre 2015 at 12:45
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