Le genre du steampunk connaît aujourd’hui un certain succès de par son esthétique particulière, combinant Belle Époque (ou époque victorienne, c’est selon) et hypertrophie de machineries à vapeurs qui forment le socle de cet univers. Pourtant, en littérature, le « punk à vapeur » est une espèce plus rare. Bien que sous-genre de la Science-Fiction né dans les années 1980, il ne connut jamais la même postérité que ses grands frères tels que le space opera ou le cyberpunk, dont le nom partage pourtant la même parenté, attribuée d’abord par raillerie journalistique. Cela étant, ses origines remontent à la fin du XIXe siècle en France, sous les plumes de Jules Verne et d’Albert Robida ; un grand comble quand on sait que les auteurs français ne s’en réapproprièrent les codes que très tardivement, contrairement aux Anglo-saxons. Le steampunk a lui aussi engendré pléthore de sous-genres plus ou moins bâtards, comme l’airpunk ou le dieselpunk.
La pierre angulaire de l’imaginaire du steampunk pourrait être accordée sans audace aux romans Les Cinq Cents Millions de la Bégum (1879) et Robur le Conquérant (1886) écrits par Jules Verne. On y trouve toute l’esthétique qui le nourrira, mais aussi ses thématiques propres. Les enjeux des romans de Verne reposent sur l’utilisation d’une technologie nouvelle, mais souvent mésestimée à son époque, comme c’est le cas de l’électricité de 20.000 Lieues sous les Mers, ou de projection uchronique. Les Cinq Cents Millions de la Bégum combinent les deux pour mettre en scène les expérimentations technologiques les plus abouties afin d’en étudier les répercussions politiques, ce qui lui vaut d’être souvent considéré comme le meilleur roman de Verne. Bien sûr, ces anticipations ne furent pas le produit ex nihilo des auteurs. Vivant en pleine seconde révolution industrielle, de nombreux progrès techniques, comme le premier sous-marin propulsé par moteur en 1863, les uniformes expérimentaux de l’armée française, ou le Char Lebedenko, alimentèrent leurs esprits, sans compter les revues dédiées.
Si aujourd’hui l’on parle plus volontiers de « rétrofuturisme », ce terme demeure impropre à la qualification du steampunk, car recouvrant un éventail plus large, notamment les sous-genres évoqués plus haut qui découlent eux-mêmes du steampunk, et peuvent donner quelque chose de totalement différent, à l’instar de la franchise vidéoludique Fallout. Le steampunk à des codes assez stricts que son nom implicite. La présence de technologie à vapeur est la clef de voûte de cet univers, et les intrigues tournent souvent autour de son enjeu, ou sont conditionnées par elle. Le rapport du récit à la technologie est donc peu ou prou le même que l’on trouvait déjà chez Mary Shelley dans son Prométhée Moderne, ou chez H. G. Wells pour citer un contemporain de Verne, à la différence que le steampunk systématise et industrialise la puissance littéraire de la machine et de ses représentations.
Néanmoins, d’aussi nobles origines ne suffirent pas à en assurer la consécration littéraire. Fruit d’un délire entre écrivains étasuniens, les premiers récits de steampunk ne se prennent pas aux sérieux (sauf peut-être Le Poids de son regard de Tim Powers), raillant volontiers une époque révolue dans une vaste toile satirique que Charlie Hebdo n’aurait pas reniée. Moqué par la presse d’alors, le genre fut condamné à vivoter, apprécié par un cercle restreint d’écrivains et de lecteurs. De même, à l’instar de la figure du zombi, le steampunk ne bénéficie pas d’une œuvre canonique. Cet élément se retrouve dans tous les grands genres littéraires, qu’il s’agisse de la littérature vampyrique avec Dracula, le space opera avec Fondation, et bien sûr la fantaisie avec Le Seigneur des Anneaux. De plus, contrairement à ces derniers, les écrits du XIXe se trouvent bien trop éloignés de nous pour représenter un véritable creuset, sans bénéficier de la même évolution séculaire.
Pourtant, le steampunk devient aujourd’hui un phénomène de culture populaire. Chaque convention a son lot de costumés, certains films en pastichent l’esthétique, comme les Sherlock Holmes de Guy Ritchie. À l’instar du zombi dont nous parlions, l’absence de figure littéraire n’a pas empêché ce curieux atavisme, au contraire même. Nous ne voyons pas autant de personnes se travestir en personnages chimériques issus de l’univers vernien. Bien entendu, un autre média peut influencer fortement cette tendance. Le cinéma demeure le plus puissant vecteur d’imaginaire qui soit, comme en atteste son imposition des codes baroques de Dracula, par les incarnations de Béla Lugosi et Christopher Lee, qui persistèrent longtemps dans l’imaginaire collectif. Les films mettant en scène le plus fameux détective de Grande-Bretagne contribuent de la même manière à répandre certains codes du steampunk, à défaut d’avoir un jour une adaptation de Robur le Conquérant digne de ce nom. Pour le moment, le steampunk demeure une sorte de mort-vivant littéraire ; bénéficiant de moult histoires, certes, mais réduits à une dimension toute intimiste, malgré de nombreuses tentatives de démocratisation.
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