Il est en effet flagrant que le modèle social du monde des sorciers dans la célèbre saga est structuré autour d’une hiérarchie fondée avant tout sur la race et non sur la méritocratie ou même l’aristocratie. En effet, l’univers d’Harry Potter, ou plus précisément la communauté magique, est profondément racialiste et raciste. L’ossature de sa société repose sur l’idée que chaque ethnie a une place précise en son sein et ne saurait outrepasser les droits afférents à celle-ci. Le Royaume-Uni étant fortement touché par le communautarisme, ce modèle ne pouvait qu’être transposé par l’autrice. Toutefois, et sans doute inconsciemment, J.K. Rowling a réellement conçu pareille structure, puisque c’est sans cesse le critère racial qui définit la place sociale des individus, et fait d’ailleurs sujet de nombreuses dispositions juridiques. Les créatures jugées ainsi « non-humaines », « hybrides » ou même « partiellement humaines » sont classées et recensées assidûment par le Ministère de la Magie et font l’objet de diverses restrictions et interdictions. L’on peut d’ailleurs soulever que ce même Ministère constitue l’amorce de ce racisme d’État qui constitue la clef de voûte du système social magique. En effet, avant lui existait un « conseil des sorciers » qui comprenait aussi bien les humains que les gobelins, fantômes et harpies. La création du Ministère de la Magie au XVIIIe siècle ne permit qu’aux humains d’atteindre les haute-fonctions, aussi bien politiques qu’administratives, ce qui constitue en soi une véritable régression en matière de libertés fondamentales. Seuls les Gobelins bénéficient de droits réels, bien qu’aussi monopolistiques, en matière fiduciaire notamment. Ces droits furent cependant gagnés par une rébellion et sont un cas unique.
Cela n’est pas sans rappeler la théorie de « l’antisémitisme d’État », formulée par Charles Maurras au début du XXe siècle. Académicien, co-fondateur de l’Action Française, il était un homme politique et de lettres brillant mais foncièrement antidreyfusard. L’antisémitisme d’État est une conception de racisme politique, et non biologique ou religieux. Son idée repose sur la pensée de La Tour du Pin, soit de la lutte des États dans l’État, qui sont en fait des communautarismes aussi puissants que caractérisés qui ne cherchent qu’à influencer le pouvoir politique (énumérés à quatre à l’époque, les Juifs, les Francs-Maçons, les Protestants, et Métèques, soient les étrangers, ce qui rend l’appellation « d’antisémitisme » réductrice). Cette théorie porta ainsi la conviction que seuls les nationaux « de souche » devraient accéder aux hautes-fonctions de l’État, et même la fonction publique en général, et non les Juifs (bien qu’aujourd’hui, sous l’effet de la mondialisation, Maurras aurait sans doute étendu son concept à d’autres couches sociales et étrangères). Le but étant que l’État soit libre de toute pression et de toute influence d’une minorité.
Ce paradigme trouve justement un solide écho dans le monde d’Harry Potter. Non seulement, et comme susmentionné, les classes sociales reposent avant tout sur une catégorisation ethnique, mais il est aussi largement visible que le racisme « de peau », soit biologique, n’est l’apanage que des extrémistes, notamment les fidèles de Voldemort. Néanmoins, la limite étant floue, le Seigneur des Ténèbres passe en fin de compte plus pour un conservateur qu’un véritable tyran.
UNE DIMENSION INSTITUTIONNELLE
En effet, le concept de racisme d’État suppose logiquement une institutionnalisation du racisme, son organisation et son fonctionnement au sein des institutions et de la société. Cette dimension institutionnelle s’illustre succinctement à travers les livres, mais permet une bonne appréhension juridique de sa mise en œuvre.
Des dispositions organiques
Comme expliqué ci-dessus, le racisme d’État suppose que seuls les Humains, plus précisément les sorciers, puissent accéder à la fonction publique. Cette réalité est récente dans l’histoire de la communauté magique car datant de la création du Ministère de la Magie. Si les troubles médiévaux envers les sorciers et êtres surnaturels pouvaient expliquer l’instauration d’un organisme à même de défendre ces communautés, rien ne justifie en revanche le fait que son fonctionnement soit uniquement exercé par des sorciers alors que ce n’était pas le cas auparavant. Une tentative de classification fut tentée sous le Conseil des Sorciers mais n’aboutit jamais, du fait que les Gobelins en perturbèrent l’élaboration car ayant conscience des effets néfastes qu’elle produirait.
Cette régression entraîna de lourdes conséquences en matière de libertés fondamentales. Sous couvert de sécurité, il fut ainsi promulgué une série de normes visant à entraver les droits des êtres non-humains ; Gobelins, Harpies et Centaures en tête, bien que doués de raison. Une véritable bureaucratie fut mise en place en vue de recenser tous les êtres doués de magie, mais aussi les êtres surnaturels. Chaque Vampyre, Lycanthrope, Gobelin et autre fantôme est scrupuleusement consigné sur un registre tenu par le Ministère ; voilà une mesure que certaines administrations n’auraient pas reniée au milieu du siècle dernier ! Tout juste se demande-t-on s’ils ne doivent pas porter un badge pour signifier publiquement leur appartenance ethnique ou raciale ! En fait, c’est une application stricte de la théorie maurrassienne évoquée en introduction, soit le paradigme d’un État qui doit lutter contre des communautarismes qui cherchent à faire peser leurs intérêts, notamment en limitant leurs droits par la consécration d’une société inégalitaire. Sauf que l’appareil étatique du Ministère de la Magie est allé très loin, en créant un organisme recensant les créatures et les classifiant selon un degré de dangerosité, mais indifféremment selon qu’ils soient ou non doués de raison. Ainsi les trolls figurent à côté des Gobelins et des Elfes de maison.
Car cette bureaucratie veille bel et bien à ce que les catégories ethniques n’outrepassent pas leur droit. Incarnée par le Département de contrôle et de régulation des créatures magiques, son nom parle pour lui-même, et n’a rien à envier à la Commission d’enregistrement des nés-Moldus créée par Voldemort, qui finalement utilise la même logique, mais la pousse à son comble. Les personnes enregistrées se retrouvent donc avec un traitement juridique différent des sorciers, traitement plus défavorable en matière de liberté, mais aussi d’égalité.
Des dispositions juridiques
Ces inégalités sont notamment illustrées par l’impossibilité des créatures magiques de faire usage d’une baguette. On le sait, seuls les sorciers peuvent en avoir une et l’utiliser légalement. Les Gobelins et les Centaures n’y ont pas droit, et l’on n’est pas certain que les Vampyres et Harpies bénéficient d’un meilleur régime à partir du moment où les Cracmols n’en ont pas non plus. Cette idée que seuls les sorciers puissent en posséder une témoigne bel et bien d’un racisme d’État largement ancré et accepté par la communauté magique. Cela fut d’ailleurs l’objet de controverse entre les sorciers et les Gobelins, ceux-ci affirmant que les premiers n’ont absolument aucune légitimité justifiant un monopole dans l’usage de la baguette.
Les Cracmols demeurent justement un cas à part dans la mesure où il s’agit de personnes dépourvues de dons mais nés d’une famille de sorciers. Ils bénéficient vraisemblablement d’une partie des droits des sorciers, notamment en restant intégrés à leur communauté. Toutefois, il n’y a aucune trace tendant à prouver qu’ils puissent accéder à la fonction publique, ou même à une fonction politique. Leur régime semble donc proche de celui du métèque. Ils sont admis dans la communauté, mais ne disposent que de certains droits et d’aucun privilège.
Tout cela est bien entendu lié aux contraintes liées au secret magique garanti par le Code international du même nom. Imposé à l’ensemble de la communauté magique, son article 73 laisse le soin à chaque administration magique d’un pays de prendre les dispositions nécessaires à la bonne mise en œuvre du secret, ce qui concerne fatalement l’existence des créatures surnaturelles ou folkloriques. Les « Hybrides » (Loups-Garous et Vampyres) furent donc pendant longtemps l’objet d’une chasse à l’instar des Trolls (ce qui poussa le Lichtenstein à refuser d’adhérer à la Confédération internationale lorsque ces chasses furent prohibées par cette dernière). Seuls les Gobelins se rebellèrent pour obtenir un régime mixte, sous la responsabilité d’un Bureau de liaison, mais n’obtinrent jamais le droit d’utiliser une baguette.
Il s’agit là encore d’une nouvelle démonstration que le racisme d’État est la composante essentielle du modèle social véhiculé dans l’œuvre de Rowling puisque ne se reniant jamais, mais au contraire évoluant en renforçant sa distinction du racisme biologique. L’effacement de ce dernier s’illustre en effet par sa transformation en racisme politique. Si les persécutions cessent, aucun privilège n’est accordé, tout juste quelques droits assurant a minima la sécurité de l’ethnie concernée. Encore une fois, l’on notera que Voldemort n’a en rien révolutionné les pratiques du Ministère, tout juste s’est-il attelé à les généraliser et les rendre plus strictes.
Ce racisme d’État influe fatalement sur les classes sociales, aussi bien dans leurs rapports que dans l’ascension, du fait que la société des sorciers est fortement imprégnée d’aristocratie.
UNE DIMENSION SOCIO-ÉCONOMIQUE
En effet, il n’est pas possible d’ignorer la facette socio-économique engendrée par le racisme politique tel qu’institutionnalisé dans Harry Potter. Elle impacte directement sur les classes sociales, et parfois des droits monopolistiques dont les bénéficiaires les plus illustres sont les Gobelins.
Des classes sociales
Un cas particulier demeure sur les « sangs-purs » et « nés-moldus ». La société des sorciers demeurant effectivement aristocratique, l’on apprend au fil des livres que la loi magique privilégiait les vieilles familles de sorciers au détriment de ceux issus d’une famille de « moldus ».
Ce critère aristocratique est à prendre en compte, car il conditionne en partie l’ascension sociale dans le monde d’Harry Potter. En effet, si le critère ethnique le précède, permettant ainsi à un sorcier, même fauché, de toujours bénéficier de plus de droits qu’une créature, un sorcier issu d’une vieille lignée sera toujours plus favorisé qu’un autre né-moldu.
L’exemple le plus parlant est sans aucun doute celui d’Arthur Weasley. Bien que sa famille soit l’une des plus anciennes familles de sorciers, le fait qu’elle soit réputée pour sa pauvreté et les accointances du chef de famille avec les moldus et sa fascination pour leur mode de vie a un impact considérable sur sa carrière. L’on sait en effet rapidement qu’il est bloqué par un plafond de verre, sciemment imposé par sa hiérarchie du Ministère, et il en a parfaitement conscience. Si certains de ses proches lui font remarquer qu’il aurait à gagner en abandonnant ses lubies, la réaction d’Arthur montre qu’au contraire il accepte pleinement ce système de ségrégation tandis que Lucius Malefoy brille par son avancement alors qu’il fut Mangemort.
L’acceptation de cet état de fait touche bien évidemment d’autres êtres que les humains. Ainsi, les Elfes de maison ne se contentent pas d’accepter leur servitude, mais l’érigent en véritable orgueil. La Société d’Aide à la Libération des Elfes crée par Hermione Granger leur fit véritablement horreur lorsque, dans La Coupe de Feu, elle tenta vainement de leur faire comprendre leur statut d’esclaves. Ceux-ci lui opposent alors une logique implacable ; l’hédonisme. Ils sont heureux car logés, nourris et blanchis, alors que la liberté n’est qu’incertitudes, notamment pour retrouver un emploi. Sans doute est-ce aussi l’hédonisme qui permet au racisme politique d’être une institution pérenne, car en fin de compte il profite à une communauté puissante, aussi bien au sens financier que magique, qui veille avant tout à préserver ses intérêts claniques, mais aussi ses privilèges politiques qu’une ouverture aux autres créatures douées de raison pourrait mettre en péril.
Toutefois, une exception à la règle se fait remarquer dès le premier tome de la saga. Les Gobelins sont en effet les seules créatures magiques bénéficiant de droits réels, bien qu’inférieurs à ceux des sorciers, en s’occupant notamment de la banque Gringotts.
L’exception qui confirme la règle
En effet, les Gobelins détiennent un droit monopolistique sur le fiduciaire. Non seulement ils gèrent la banque du monde des sorciers (car l’on ignore s’il y en a d’autres, ou si Gringotts a un rôle de banque centrale). Seuls des Gobelins peuvent ainsi y travailler, et manifestement seuls eux détiennent le pouvoir de battre monnaie. Les quelques rares sorciers qui y travaillent ne le peuvent que parce qu’ils ont la faculté d’accomplir des tâches impossibles aux Gobelins, notamment concernant celles nécessitant l’usage d’une baguette magique. Ainsi, Bill Weasley y officie en tant que Briseur de sorts.
Ce cas est à part dans la communauté magique, et constitue en réalité l’exception qui confirme la règle du racisme d’État. En effet, les Gobelins arrachèrent leurs droits suites à de nombreuses rébellions, dont l’une déclarée lors de la création du Ministère de la Magie au XVIIIe siècle, soit au moment où ils furent dépossédés de toute représentativité, comme c’était pourtant le cas avec le Conseil des Sorciers, mais aussi où s’effectua le recensement par le Département de contrôle et de régulation des créatures magiques. C’est au prix du sang que les Gobelins obtinrent une maigre avancée de leurs droits par la création d’un bureau de liaison, ce qui permet tout juste de les distinguer d’autres créatures.
Le fait que Gringotts soit fondée par le Gobelin éponyme joue bien sûr dans le monopole fiduciaire, probablement au nom du principe d’antériorité. Néanmoins, les nombreuses tensions entre eux et le Ministère instillèrent une méfiance quasi innée de la part des Gobelins envers les sorciers. Cela est expliqué par Hagrid à Harry lorsqu’il l’emmène pour la première fois à la banque, mais ce n’est qu’au tome 7, Les Reliques de la Mort, qu’on en appréhende toute l’étendue par les remarques de Gripsec. Ce dernier s’épanche largement sur le mythe du vol de l’épée de Gryffondor par l’intéressé, au nom d’un principe de propriété propre aux Gobelins qui considère que le créateur d’un objet demeure son propriétaire à jamais ; tout prêt ne pouvant que se concevoir comme une location. Volontairement dépeint comme avide, ce portrait du Gobelin dans la saga tient quelque chose d’assez dérangeant, du fait qu’il s’assimile parfaitement aux caricatures antisémites qui pullulaient à la fin du XIXe et jusqu’à la moitié du XXe siècle. En effet, si les Juifs étaient caricaturés avec des atours de Gobelins (nez crochus, mains en forme de serre) avec une propension disproportionnée à l’avarice et la cupidité, la boucle est bouclée dans Harry Potter en octroyant aux Gobelins les mêmes attributs que leur physique implicitait dans les satires judéophobes.
De ce fait, il est difficile de contester l’ampleur maurrassienne que dégage l’œuvre de Rowling, bien que probablement involontaire de sa part. Tout récit de fantaisie étant fatalement racialiste du fait que l’Humanité n’en soit pas la seule espèce pensante. Toutefois, alors que l’autrice tente à la fin de faire passer Lord Voldemort comme un dangereux extrémiste dont le régime serait assimilable à celui du IIIe Reich, la réalité de sa saga nuance fortement son propos.
5 août 2015 at 14:33
Gros travail de développement autour d’un sujet il est vrai assez classique des pages sombres de la saga HP. Bravo pour cet effort estival d’analyse 😉
5 août 2015 at 14:36
Merci 🙂
9 août 2015 at 11:13
[…] Si vous voulez en savoir plus sur le racisme d’État dans Harry Potter, il y a un long article à découvrir ici. […]
24 août 2015 at 23:38
Je pense que, la référence précise à Tonton Maurras mise à part, tout ce que tu décris est loin d’être involontaire ou inconscient, et que le récit, passé l’émerveillement de la découverte d’un monde « magique », subtilement, ne reste pas neutre vis à vis de ça. Décrire Voldemort, non pas comme un meurtrier psychopathe, mais comme un « ultra » ou un leader de la réaction, ayant de profonds soutiens dans la société dans laquelle il évolue, et ne faisant que pousser une logique qui lui préexistait à l’extrême, est très juste. Mais je pense que c’est, loin d’une écriture involontaire, au contraire très bien pensé par le récit, ce qui en fait une de ses profondeurs. L’attitude générale du personnage principal envers le Ministère de la Magie, qu’il soit aux mains de Fudge, Scrimegeour ou des partisans de Voldemort, les passages qui font intervenir les centaures, le personnage de Dobbie, celui d’Hermione, et même le passage dont tu parles, faisant intervenir Gripsec, antipathique aux yeux de tous les protagonistes sauf le principal à qui le gobelin dit qu' »il est un bien étrange sorcier », montrent que le récit ne reste pas innocent vis à vis du monde profondément conservateur qu’il met en place derrière les paillettes de la magie.
Que les gobelins soient les seuls à avoir pu s’affranchir en partie d’une certaine domination non par de vœux pieux, mais par un rapport de force, montre également, à mon sens, toute l’intelligence sociale de ce roman.
La société rêvée par Voldermort, et brièvement mise en place dans le tome 7, n’est, comme tu le dis très bien, que la continuation à l’extrême de la société qui la précédée. Mais cela est tout à fait assumé par le roman, comme on peut le voir à travers le motif de la « fontaine de la fraternité magique » : remplacée pendant le règne des Mangemorts, la nouvelle n’est qu’une version plus hardcore de l’ancienne.
En somme, le roman assume tout à fait de décrire un monde loin d’être magique, comme on l’avait cru, berné par l’émerveillement, à la lecture du premier tome.