Récits populaires aux personnages connus de tous, notamment aux travers des œuvres célèbres de Disney, la réalité littéraire des Contes de Fées demeure pourtant aussi sombre que complexe. Le but de notre nouvelle conférence sera donc de restaurer l’imaginaire des Contes tels qu’ils sont écrits au travers d’auteurs tels que Straparola, Perrault ou encore les frères Grimm, mais aussi de se poser la question du rapport du Conte à l’enfant, et donc de savoir s’ils ont pour but de faire entrer l’enfant dans un modèle social prédéfini, ou au contraire s’ils permettent à l’enfant d’intégrer sa propre personnalité.
Pour tenter de répondre à cette question, Apocryphos a convié Mickaël Ragot, étudiant en Master recherche littéraire à l’Université de Haute-Alsace et président de l’association étudiante du Bateau-Livre, ainsi que Sall « KaÏlcédrat » Ethman, mêmement étudiant en Master de recherche littéraire à l’Université de Haute-Alsace. Les débats seront organisés par Fabrizio Tribuzio-Bugatti, président fondateur de l’association.
Mickaël RAGOT
Le conte de fée, sous famille du conte, se démarque par la présence d’éléments magiques, féériques ou fantastiques (vulgairement dit).
Littérature jeunesse et pour enfants : 1850 VS les premiers contes écrits datent de 1550 avec le recueil des nuits facétieuses de Basile (poète napolitain de la Renaissance). 300 ans qui séparent les premiers contes et la littérature jeunesse. Nous ne pouvons dire que les contes de fées étaient adressés initialement aux enfants.
Le conte de fée se verra réinvestit vraiment pendant la période classique (Charles Perrault, Marie Catherine d’Aulnoy (elle amènera le terme de « Contes de fées », etc.), le but étant de contrebalancer l’arrivé du rationalisme, du cartésianisme, et d’autres courants de pensées qui donneront la pensée des Lumières).
Des auteurs et surtout auteures (cherchant à s’émanciper dans une certaine mesure des carcans sociaux qui leurs étaient imposés et de briller aussi par leurs traits d’esprits) pour un public de précieux. Et pas du tout à destination d’un public jeune.
Il faudra attendre Le XIXème siècle qui se réappropriera certains contes de Perrault, ceux des frères Grimms par exemple pour parler de « contes pour enfant ».
Problématique : Les contes ont-ils pour objectif de faire entrer l’enfant dans un modèle social prédéfinit ou à l’aider à intégrer sa propre personnalité (Bruno Bettelheim, psychologue et pédagogue Autrichien qui est en quelque sorte un pionnier dans l’analyse des contes de fées.)
« Bruno Bettelheim s’est penché sur le pouvoir libérateur du conte de fées lorsqu’il est raconté aux enfants »
Les contes à travers un motif représentatif de l’enfant : la notion de « femme » auprès du public masculin et féminin enfantin. De même, si nous en avons le temps, nous pourrons développer d’autres motifs : le prince comme être de vaillance, l’absence de corporalité, notamment chez la femme, ou encore l’être de moral (et quelle morale ?) / Le Mal dans le conte : une notion par essence sans antécédents / L’enfant roi, victime d’un héritage.
J’étayerai mes propos en me reposant surtout sur quatre contes
- Blanche neige
- La Belle au bois dormant
- Le Roi Porc
- Cendrillon
Ces contes usent en effet de l’Allégorie (distanciation), de l’Utopie (absence de référents), et des Stéréotypes (état de stase) de manière semblables, et caractéristique de l’imagerie des contes de fées. Je me reporterai aussi sur le formalisme russe développé par Vladimir Propp, qui dégagea une morphologie du conte, une structure clairement définie et substituable à ¾ des contes de fées. Il en définit trente-et-une fonctions :
Schéma quinaire Paul Larivaille (analyse morpho-logique du récit) …(Claude Bremond)
Blanche neige :
Comme la quasi-totalité des personnages de contes, elle n’est qu’un personnage allégorique. Elle n’a aucune corporalité, à part le fait d’être : « blanche comme neige, rose comme sang et ses cheveux étaient noirs comme de l’ébène ». C’est la seule description que les frères Grimm nous en donnent dans tout le conte.
L’occurrence BELLE est dite 28 fois !
Quelques citations montrent que tout le monde la trouve belle.
Le miroir qui ne ment pas dit :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle ici, mais Blanche-Neige est encore mille fois plus belle »
Seigneur Dieu ! Seigneur Dieu ! s’écrièrent-ils ; que cette enfant est jolie
Donc que doit-on en déduire ? Que Blanche neige n’est que beauté et rien d’autre ?! (Vénus)
C’est aussi ce qui lui sauvera la vie :
« Et parce qu’elle était belle, le chasseur eut pitié d’elle et dit :
– Sauve-toi, pauvre enfant ! »
Si elle avait été laide, serait-elle donc morte ?
Il y a ici un développement du narcissisme et de la frustration de l’enfant n’entrant pas dans la codification social (difformité, gros, maigre, petit, grand, autre modèle qu’occidental blanc hétérosexuel, etc.). C’est donc une lecture narcissique et castratrice pour l’enfant, une contre-émancipation, une destruction de la formation fictionnelle (morale).
De plus, la Belle mère est présentée comme une méchante, et de ce fait elle n’est que méchanceté (la nuance n’est pas faite pour les contes). Par essence.
Elle est même peinte comme une cannibale (ou du moins une personne à la volonté cannibale).
« Le cuisinier reçu ordre de les apprêter [foie et poumons] et la méchante femme les mangea, s’imaginant qu’ils avaient appartenu à Blanche-Neige. »
Mais cette représentation si moderne de la femme ne saurait s’arrêter en si bon chemin, le conte va encore plus loin !Lors de la rencontre des nains, ceux-ci proposeront à Blanche Neige plusieurs choses contre l’asile:
« – Si tu veux t’occuper de notre ménage, faire à manger, faire les lits, laver, coudre et tricoter, si tu tiens tout en ordre et en propreté, tu pourras rester avec nous et tu ne manqueras de rien. »
Ce à quoi elle répond :
« – D’accord, d’accord de tout mon cœur. »
Voilà en quelques mots l’image de l’héroïne peinte par les frères Grimm. Est-ce un modèle libérateur (comme aime à le définir Bettelheim ? Cela serait plutôt un modèle social très cloisonné selon moi).
Après avoir croqué dans la pomme, qui s’inscrit pleinement dans l’héritage d’Eve — femme pécheresse — Blanche neige tombe dans un sommeil cataleptique, une sorte de mimétisme de la mort. Il en sera de même pour Aurore dans la Belle au bois dormant (de Perrault).
« La princesse se percera la main d’un fuseau; mais au lieu d’en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d’un roi viendra la réveiller. »
La fille est donc présentée comme morte aux yeux du lecteur. Une fois de plus, elle devra pour avoir le droit de vivre à nouveau attendre (ce qui montre la passivité de celle-ci) l’arrivée d’un Prince Charmant. Que peut-on en dire…la femme à besoin de l’homme pour s’éveiller à la vie ? (Un superbe message d’émancipation !). Il en est de même pour la Belle au bois dormant.
Alors, sortez un peu de l’image que l’on se fait du prince charmant, parce que celui-ci proposera aux nains en voyant le cercueil de Blanche neige :
« Laissez-moi le cercueil ; je vous en donnerai ce que vous voudrez.
Alors donnez-le-moi pour rien ; car je ne pourrai plus vivre sans voir Blanche-Neige ; je veux lui rendre honneur et respect comme à ma bien-aimée »
Ceci n’est pas très catholique, après c’est mon avis personnel.
C’est encore pire dans la première version de la Belle au bois dormant, écrite par Basile qui s’appelle alors en ce temps là « Le Soleil, la Lune et Talia ». Le Roi « crut qu’elle dormait et il l’appela ; mais il ne put la réveiller, quoi qu’il fît. Comme il s’était épris de sa beauté, il la porta à bras le corps sur un lit [1].., la laissa couchée et s’en retourna à son palais, où il ne tarda pas à oublier toute cette aventure. Neuf mois après, la jeune fille accoucha de deux jumeaux, un garçon et une fille.
Cette version censura un élément important, que l’on trouve dans la version napolitaine « Ne couze li frutte d’ammore. » : « il lui cueillit le fruit de l’amour ». Il y a donc un véritable viol, qui consacre la dépendance de la femme envers l’homme !
Dans Blanche neige, le prince emporte le cercueil et permet à ce que Blanche neige se réveille.
Bien évidemment (car ¾ des contes tendent vers cette finalité) Blanche Neige « L’accompagna et leurs noces furent célébrées avec magnificence et splendeur. »
Car nous connaissons tous ou presque la fameuse
« et ils marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfant ».
Qui est un leitmotiv dans la construction du conte.
Cette fin est tout sauf référentielle, car elle propose un seul et unique mode de bonheur passant par le mariage et procréation. Elle est donc un idéal proposé par la société.
Je ne pense pas que le mariage soit une finalité en soi, il est une option parmi bien d’autres (étrangement jamais décrites dans ces contes), et la procréation encore moins (pour information la survie de l’espèce n’a plus besoin de nous…avec plus de 7 milliards d’êtres humains, je pense que nous avons de la marge avant de nous inquiéter).
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En définitive, ce conte met en scène une fille rejetée par sa belle-mère, hébergée par des nains en échange d’un asservissement total, « tué » par son désir (car nous savons tous ici que le désir est quelque chose de mal) et sauvé par l’homme.
Je ne vois ici qu’une femme aliénée par l’autorité (parentale, amicale, et masculine). Elle n’est ni autonome, ni individuée, et n’est qu’une image figée de ce que devrait être la femme (dans une conception arriérée).
Donc c’est à traves des images castratrices, un carcan social figé et à ce jour régressif que se dessine à nous ce conte.
Le foisonnement d’images stéréotypées n’est clairement pas la meilleure manière d’insérer un enfant dans la vie en société (selon moi).
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- Représentation néfaste et désuète : blanc, beau, hétérosexuel !
Pourquoi réinvestir les contes ?
- Le manque d’originalité !
- Tradition, héritage, tout est fanfiction en littérature de toute façon (ou presque).
Le conte fonctionne, car c’est un schéma prédéfini, crée pour être véhiculé (oralité, schéma similaire, etc.). Il est fédérateur, car il est partagé, et copié par de nombreux auteurs, ce qui l’ancra solidement dans l’imaginaire collectif et accoucha de l’héritage intergénérationnel qu’on lui connaît actuellement. Cette visée « universalisante » se décline dans d’autres cultures de la sorte (asiatique, africaine, américaine,…avec des variations, mais une trame similaire). Il fallut attendre Les mots et les choses de Foucault pour avoir une analyse distinguant les récits généralistes (jusqu’au XIXe) des récits individuants.
KaÏlcédrat SALL
Dans l’Afrique traditionnelle, les contes constituent une « oraliture », une littérature orale servant à transmettre les valeurs de la société dans laquelle ils voient le jour. Ils sont donc transmis de génération en génération par le biais des conteurs professionnels ou encore des griots.
Dans le contexte africain, le conte est d’abord une manifestation orale des sociétés traditionnelles dans lesquelles l’ « oraliture » est considérée comme la forme d’expression la plus privilégiée. Le conte traditionnel est donc un jeu oral et un art de la parole. Il traverse tous les genres littéraires : le roman, le théâtre et la poésie. Ce qui explique d’une certaine façon sa complexité et sa richesse.
Pendant longtemps, dans de nombreuses contrées africaines, des veillées de contes sont traditionnellement organisées. Ces veillées ont une conception chamanique et liturgique du fait que toutes les classes sociales et toutes les catégories d’âges se convergent systématiquement autour du timbre de la voix du conteur de manière presque rituelle et conventionnelle. Chez certains peuples africains, le conte est utilisé comme une série d’aphorismes, dans un prétoire ordinaire pour illustrer un propos ou donner une leçon de morale. Dans ce sens, le contre permet de comprendre les structures et les conventions qui régissent la société traditionnelle.
Dans les interprétations les plus courantes, les contes de l’ « oraliture » africaine constituent une panoplie de thèmes qui renvoient à l’éducation morale. Quand on parle d’éducation, on pense naturellement à l’enfant, à son épanouissement et à sa place dans une société donnée. Or les enfants sont bien représentés dans les contes africains. Ils y incarnent l’étant, l’être en devenir. Cependant, il existe différents types d’enfants dans ces contes : l’enfant ordinaire, l’orphelin, l’enfant prodige, le malin, le pianique. Ces différents types mettent en relief la complexité de la figure de l’enfant dans la société et dans les contes africains. Il faut également noter que le merveilleux ou le fantastique constitue souvent l’expression de la plasticité de certains contes. Ils relèvent du merveilleux parce qu’ils s’accomplissent dans l’imaginaire animiste. Les hommes, les êtres surnaturels ou les divinités sont montrés en harmonie et la vision du monde y est optimiste. Mais le réalisme n’est pas pour autant exclu du conte : « au contraire, l’un et l’autre s’allient pour donner une image exacte du monde africain, dans lequel il n’y a d’ailleurs pas de rupture entre le réel et le surréel ».
D’une part, le conte nourrit l’incarnation d’un modèle social défini, comme le grégarisme par exemple. Il n’encourage pas forcément la singularité de l’enfant par rapport au reste du groupe social, au contraire, il lui tend un miroir social en lui proposant une acculturation ou une assimilation préétablie, liée à l’archétype social de son groupe. Il constitue d’une certaine façon un paramètre de continuité de la tradition en transmettant à l’enfant des valeurs sociales et culturelles. Dans l’entendement africain, le conte renvoie toujours à une réalité sociale et à une communauté particulière. On peut même parler de tradition populaire s’agissant de conte : plusieurs schémas narratifs de conte appartiennent à une mémoire collective à travers laquelle sont célébrées les empreintes du peuple et de l’individu. On a souvent dit que le conte est fait par et pour le peuple ; et l’enfant devra d’une certaine manière imprimer sa marque de fabrique non pas en dehors de la poétique véhiculée par le conteur, mais dans et à travers cette poétique. Autrement dit, une sorte de pédagogie didactique se dégage du conte, marqué par la tradition populaire. Et cette pédagogie a une visée à la fois morale et formatrice puisqu’elle est consacrée à l’accompagnement de l’enfant dans son développement social, dans sa place au sein de son groupe social et dans sa propre singularité. En d’autres termes, la différence est dérisoire entre le modèle social prédéfini par la société et la singularité manifestée par l’enfant. Cela s’explique par le fait que dans la conscience du conte africain, l’enfant adhère d’emblée dans le groupe social de sa filiation, et donc de l’ensemble des conventions qui structurent ce groupe.
Ainsi, chaque société humaine a sa conception de la structure communautaire. Cette conception de la politique spécifique conditionne et régule la place que l’individu doit avoir dans un groupe social donné. C’est cette idée de la place de l’individu qui canalise l’harmonie sociale dans laquelle tous les individus adhérents à un groupe se retrouvent pour vivre en communauté dans une sorte de mutualisme élaboré. C’est à travers ce mutualisme élaboré que l’enfant se fraye de nouveaux possibles, de nouveaux chemins de traverse, en s’inspirant du modèle social et de la parole authentique des anciens ; en s’abreuvant de la tisane, de la décoction et des calices du baobab de son groupe social. De cette manière, dans Les Contes d’Amadou Koumba, le Sénégalais Birago Diop nous parle d’un enfant qui s’inspira de l’enseignement de sa grand-mère, entre autres, pour devenir écrivain : « Quand je ne répondais plus à la question de grand-mère, ou quand je commençais à nier que je dormisse, ma mère disait : « il faut aller le coucher », et grand-mère me soulevait de la natte qui se rafraîchissait dans l’air de la nuit et me mettait au lit après que je lui eus fait promettre, d’une voix pleine de sommeil, de me dire la suite le lendemain soir, car en pays africain, on ne doit dire les contes que la nuit venue. Grand-mère morte, j’eus dans mon entourage d’autres vieilles gens et, en grandissant à leur côté, « j’ai bu l’infusion d’écorce et la décoction de racines, j’ai grimpé sur le baobab ». Je me suis abreuvé, enfant, aux sources, j’ai entendu beaucoup de sagesse, j’en ai retenu un peu ».
Autrement dit, Birago Diop nous parle de son personnage comme un enfant curieux et ambitionné qui aspire à devenir quelque chose dans la baie de son entourage. Baké manipule d’une certaine façon sa grand-mère en utilisant une ruse habile : la nuit vieillissant, il refuse d’aller se coucher ou de fermer les yeux pendant que les personnes âgées, en l’occurrence sa grand-mère, racontent des histoires et des légendes. Au-delà de la curiosité incarnée par Baké, ce refus de se conformer aux règles sociétales traduit sa singularité manifestée. Et ce désir d’écouter à tout prix la parole des anciens fait allusion à cette idée de s’inspirer de l’imaginaire du groupe social et de la communauté. Donc, Baké ne conçoit pas son devenir social sans le souffle de la sagesse des anciens : « j’ai bu l’infusion d’écorce et de décoction de racines, et j’ai grimpé sur le baobab » : infusion et décoction représentent l’image de la nourriture, l’image des apprentissages de l’enfance auprès des anciens qui constituent un modèle social ; « grimper sur le baobab » symbolise l’image de la grandeur, du développement de l’enfant dans le clocher des anciens, de la sagesse. Mais la nuance de la dernière formule des confidences de Baké exprime sa volonté de se forger une personnalité en se différant un peu de la moule traditionnelle. L’expérience traditionnelle est présente à travers l’ambition sous-entendue par Baké mais l’expression de sa singularité semble prendre le dessus.
Plus loin, dans le même conte, Birago Diop fait un rapprochement entre la tradition orale transmise par les anciens et l’aspiration revendiquée de l’enfant : « …il me manque la voix, la verve et la mimique de mon vieux griot. Dans la trame solide de ses contes et de ses sentences, me servant de ses lices dans les bavures, j’ai voulu, tisserand malhabile, avec une navette hésitante, confectionner quelques bandes pour coudre un pagne sur lequel grand-mère, si elle revenait, aurait retrouvé le coton qu’elle fila la première, et où Amadou Koumba reconnaîtra, beaucoup moins vifs sans doute, les coloris des belles étoffes qu’il tissa pour moi naguère » : ainsi, l’imaginaire du prototype social du groupe est ici caractérisé de manière forte, avec cette formule : « il me manque la voix, la verve et la mimique de mon vieux griot » : de ce fait, Baké est conscient qu’il lui faut un canevas de valeurs sociales, un modèle prédéfinit pour se constituer de nouveaux possibles, à travers son errance personnelle. Et ces nouveaux possibles en questions sont évoquées dans la moitié de la citation, avec notamment cette phrase : « …tisserand malhabile, j’ai voulu confectionner quelques bandes pour coudre un pagne sur lequel grand-mère, si elle revenait, aurait retrouvé le coton qu’elle fila la première» : Baké évoque ici les éléments traditionnels qu’il a appris au côté de sa grand-mère. Selon lui, ces éléments participent à son ambition de devenir tisserand et de coudre les pagnes, c’est-à-dire de devenir écrivain et de produire des livres. On voit effectivement que dans sa volonté de devenir tisserand, écrivain, l’enfant combine assez habilement le modèle social qu’il a hérité et l’aspiration personnelle qu’il revendique. C’est pourquoi il était obstiné, dès le départ, à écouter les histoires légendaires que racontait sa grand-mère lors des veillées, pour s’en servir dans son désir inlassable de devenir tisserand, écrivain. De là, on peut en conclure que chez Birago Diop, le conte a pour objectif à la fois de faire entrer l’enfant dans un modèle social en lui apprenant à grimper sur le baobab ; et surtout de l’accompagner dans ses aspirations en lui laissant la liberté de saisir de nouveau possibles.
D’autre part, certains contes mettent en exergue une autre vocation de la figure de l’enfant dans la mesure où de nombreuses épreuves difficiles se profilent souvent devant le regard hagard de l’enfant qui affiche ses ambitions. C’est-à-dire que, un certain nombre de conte mettent en scène de l’image de l’enfant confronté à des situations complexes, voire surnaturelles, qui découlent du cadre social dans lequel il appartient. Nous en avons une illustration dans Les contes des veillées africaines, avec l’image d’un enfant chasseur qui perdit son chemin de retour après la chasse, qui ne se souvient plus du chemin de retour qui mène au village. Il rencontra alors un vieillard à qui il demanda son chemin. Celui-ci refusa catégoriquement de l’orienter « en reprochant l’enfant chasseur d’être égoïste » et individualiste. Par conséquent, l’enfant chasseur tourna en rond pendant longtemps dans la forêt. Et le conte finit ainsi : «des jours et des nuits entières, il marcha infatigable, mais sans succès. Ses forces s’épuisèrent. Il maigrit fortement, mais ne s’arrêta pas de marcher. Aujourd’hui encore, il semble qu’il marche dans cette grande forêt, errant à la recherche d’une issue vers son pays, sa terre et sa famille ». De cette façon, non seulement, l’enfant chasseur est puni pour son individualisme et sa volonté de se défaire du modèle social proposé, mais il subit aussi une sorte d’initiation qui prend l’élan d’une sorte de catharsis. Ce que le vieillard reproche à cet enfant chasseur c’est l’idée de ne pas respecter les valeurs de son groupe social, les valeurs du grégarisme. L’idée de ne pas concevoir et incarner ces valeurs pour en faire un système social, fait de cet enfant un marginal égocentrique aux yeux de la société traditionnelle représentée par la figure du vieillard.
Dans cet ordre d’idées, le conte a pour but de dicter à l’enfant les règles de vie, les valeurs sociales à adopter pour son propre épanouissement et pour celui de la société. Ainsi, de nombreux contes constituent des situations éprouvantes permettant à l’enfant de prendre conscience des méandres de la vie quotidienne, pour apprendre à être un homme digne de son groupe social. S’agissant de la mise en scène de ces épreuves difficiles, quand le héros s’en sort avec courage et vaillance, cela aide l’enfant à s’identifier à celui-ci en réfléchissant considérablement avant de manifester brutalement sa singularité. Car la notion du grégarisme des contes et de l’Afrique préconise l’idée que l’expression de la personnalité de l’enfant soit conjuguée avec la conscience qui prévaut dans son groupe social. Et cela pose évidemment la problématique de la singularité de l’enfant dans ces contes africains.
Par ailleurs, les contes ont une visée morale : on l’a vu précédemment avec l’exemple de l’enfant chasseur. Ils révèlent en effet les valeurs auxquelles la société traditionnelle se repose : les valeurs de l’obéissance (aux aînés), de la discrétion, du respect des engagements, de l’hospitalité, de la serviabilité, de la justice, de la reconnaissance, de la bonté, de l’amour, de l’intelligence et du grégarisme. Ces valeurs constituent l’essence et le fondement de la morale africaine : une morale sociale qui dicte à l’enfant sa conduite et socialisation pour son bonheur personnel et celui de la société qui l’entoure. Même s’ils ont une dimension fantastique, l’objet des contes africains reste le même : et cet objet c’est l’éducation et la formation de l’enfant pour le préparer à être l’homme de demain.
Il faut cependant préciser qu’il existe une géométrie variable de la figure de l’enfant dans les contes africains, selon les pays et les ethnies. Ainsi, chez les Peulhs du Sénégal, l’enfant aspire à incarner des valeurs viriles liées à sa filiation : le « Pulaaku », qui est le comportement distinctif de l’homme de la communauté Peul qui met en conjonction intelligence, courage, fierté et maîtrise de soi. Ces valeurs offrent à l’enfant un statut social et des moyens de vivre qui ne contrarient pas sa personnalité et sa singularité. Tandis que chez les Wolofs du Sénégal, l’éducation de l’enfant s’accomplit très souvent par la confrontation avec une figure monstrueuse. Celle-ci peut-être un être humain ou un animal doté de pouvoirs magiques. Et selon le conte Wolof, la figure du monstre peut jouer un rôle d’auxiliaire ou d’agresseur vis-à-vis de l’enfant. Par exemple, dans un conte sénégalais, Halima, une jeune fille qui refusa de se soumettre au modèle social défini par ses parents, a connu une vie bardée de maléfice et de sortilège. En effet, Halima a refusé d’épouser un homme que ses parents lui ont imposé d’une certaine façon, ensuite elle a fait une rencontre avec un serpent génie qui s’est transformé à un homme d’une beauté insolente. Par la suite, Halima décida de se marier avec ce serpent-homme qu’elle ignorait la descendance et la famille. Halima était juste galvanisée par la beauté imposante de cet homme-serpent, et elle ignorait l’idée que cette beauté n’est qu’une illusion : elle n’avait pas connaissance que cet homme beau qu’elle a rencontré se transforme à un serpent. Finalement, après avoir épousé ce serpent-homme sans le consentement de ses parents, Halima a vu sa vie s’effondrer devant elle : le serpent-homme lui a enfermé dans une grotte sombre où la jeune Halima a contracté une folie insondable. On voit donc, le fait de ne pas accepter le modèle social dicté par ses parents, la jeune Halima a fini par sombrer dans les ténèbres : elle a perdu sa reconnaissance sociale et elle n’a pas atteint son idéal : ce qui est de réfuter tout prototype social et d’épouser l’homme de son choix.
Nous sommes entrés dans cette relation entre le modèle social et la personnalité de l’enfant dans les contes africains, en montrant comment chez le Sénégalais Birago Diop, l’enfant parvient à combiner l’archétype social et l’aspiration personnelle. Le chemin s’est ensuite ouvert sur une autre incarnation de la figure de l’enfant dans un conte wolof. Dans ce texte, nous nous sommes rendu compte que le conte n’a pas pour objectif d’accompagner l’enfant dans ses aspirations personnelles, mais de le faire entrer dans un prototype social prédéfini.
Finalement, nous avons abouti à des variations de la figure de l’enfant dans les contes, selon les régions et les ethnies. Dans certaines régions et ethnies, les ambitions affichées de l’enfant sont encouragées ; et dans d’autres, les aspirations manifestées de l’enfant sont contrariées.
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