Thongor, rédigé par le bien connu Lin Carter dans la seconde moitié des années 60. Cycle de sword and sorcery, il prend sa place dans le continent imaginaire de Lémurie, qui aurait existé il y a un demi-million d’années, et narre les exploits de Thongor, barbare qui est tantôt mercenaire, tantôt soldat, pour finir roi. Les mots « Conan » et « recyclage » vous viennent à l’esprit ? C’est normal. Édité une première fois par les éditions Librairie des Champs-Élysées en 1976 et 1977, puis intégralement aux éditions Albin Michel entre 1987 et 1989. La dernière édition date de 2012, offrant une version révisée par les éditions Mnémos, qui le décrit comme « une œuvre fondatrice de la Fantasy ». Sérieusement ?
Il faut dire que depuis le coup de La Maison des Mages, nous sommes habitués aux panégyriques commerciaux de la maison d’édition, et à son « courage » et « défrichage » éditorial (comme en témoignent les rééditions de ses premiers auteurs, de La Parallèle Vertov, le cycle du Rêve et plusieurs nouvelles de Lovecraft. Peut-être que nous aurons prochainement droit à une réédition des Robots d’Asimov, qui sait.). En fait, publier le cycle de Thongor, quinze ans après Albin Michel, donne plutôt l’impression de vouloir rivaliser avec sa sœur cadette, Bragelonne, qui s’était fait un honneur de publier, dans une traduction nouvelle, l’intégrale de l’œuvre culte de Robert E. Howard, notamment Conan le Barbare. Ce ne serait guère étonnant, quand on sait que l’histoire de ces deux maisons est liée ; le fondateur de Bragelonne n’étant autre qu’un des (anciens) cofondateurs de Mnémos.
Mais allons au cœur du sujet. Thongor, est-il un honorable pastiche, voire concurrent, de Conan ? Non, pas vraiment.
À dire vrai, Thongor recèle nombre de faiblesses scénaristiques et stylistiques. Le même schéma narratif se répète inlassablement au fil des nouvelles, et les redondances sont légions. On retrouve facilement une à deux fois la même phrase, au mot près, par nouvelle, et même de nouvelle en nouvelle ! Pour résumer la chose, on se croirait dans la satire du Monomythe dressée par Kurt Vonnegut : « Le héros a des problèmes, le héros résout ses problèmes. » ; sauf qu’en plus, Lin Carter amenant son héros et ses personnages secondaires dans des évènements insolubles humainement, il abuse des dei ex machina, n’ayant pas peur de confiner au ridicule. Entre le dirigeable qui va tout seul dans la bonne direction, ou la chance surnaturelle du héros, l’auteur ne recule devant rien pour parvenir à l’élément de résolution. Au bout de trois nouvelles, on commence à se demander si on ne s’est pas fait avoir. À la quatrième, on se dit que bon, quitte à l’avoir commencé, autant terminer le bouquin ; et à la fin, on jure solennellement de ne pas acheter le second, après avoir utilisé le précédent comme cale.
Parce qu’il ne faut pas se moquer du monde non plus. Thongor est autant une œuvre fondatrice de la fantaisie que votre serviteur est danseur étoile. Il n’est qu’une pâle copie de son modèle ; un sous-Conan dont il n’arrive même pas à être le pastiche. Et soyons sérieux, comment peut-on arguer qu’en 1965, après le passage de géants tels que Howard, Smith, Lovecraft et Tolkien, il puisse encore y avoir quelque chose de « fondateur » dans un genre déjà balisé par des codes dont il n’est toujours pas sorti actuellement ! D’autant plus que Thongor n’invente rien : il copie, et mal en plus. Certes, il a l’avantage de se lire vite, bien que mal écrit. On aurait plus tendance de le classer dans un style proche d’une première fiction que d’un style ampoulé ; simple, mais empli de maladresses (à moins que la faute en revienne au traducteur ?). Si encore il eût été question de la saga d’Elric, la novation apportée au genre aurait été légitime, car clairement établie, mais nous ne sommes ici en présence que d’un argument commercial, visant sans doute à apporter une manne financière à la maison d’édition grâce à un public guère exigeant. En clair, Mnémos est loin de ce qu’elle ambitionnait d’être lors de sa création. La seule chose que nous lui conseillons, c’est de retirer toute mention prétendant qu’elle est une maison défricheuse de talents français. Cela semble faire longtemps qu’elle leur a tourné le dos, au profit des traductions.
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