Wastburg, une cité-État aussi riche que pouilleuse, et curieux personnage principal du roman éponyme de Cédric Ferrand. Dans la droite lignée de Jaworski, l’auteur nous baigne au fil des chapitres dans différents aspects de la ville, chacun porteur de poisse et de la routine de ses habitants, qui donnent efficacement vie à la cité biscornue. Commençant avec une citation de China Miéville présentant Tolkien comme le « kyste sur le cul de la fantasy » (sans avoir vraiment tort), nous savons déjà que Cédric Ferrand a voulu faire tabula rasa des canons commerciaux du genre, pour notre plus grand plaisir.
Parce que Wastburg, c’est avant tout la ville elle-même. Et pour lui faire prendre vie, Cédric Ferrand a utilisé intelligemment le mécanisme d’un personnage pour un chapitre, sans pour autant lésiner sur leur personnalité ! On a droit ainsi, en vrac, aux miliciens préparant des coups tordus, un calligraphe qui se fait des à-côtés en tant que faussaire tout en menant une double-vie conjugale, et, surtout, le Burgmaester.
Figure de proue du roman, personnage insaisissable dès que l’on croit pouvoir mettre la main dessus au gré d’une fin de chapitre, il est cette ombre qui dirige Wastburg depuis toujours. Comme un puzzle, les multiples chapitres du récit forment un tout cohérent dont le mystérieux dirigeant incarne le point nodal. Tout ce qui se fait a (presque) toujours un rapport avec lui ; soit pour tenter de le renverser, soit pour satisfaire une de ses directives. Parce qu’en gros, dans Wastburg, il y a un plan. Un gigantesque plan, dont on ne connaîtra l’aboutissant qu’à la fin de l’histoire.
L’autre point majeur (et bienvenu) de Wastburg, c’est l’absence de magie. La Déglingue, comme disent familièrement les pécores de la ville, est un évènement dont personne ne sait comment ni pourquoi il est survenu, mais qui a coupé toute magie du monde de Wastburg. Du coup, on a droit à un joli chapitre sur la chaîne de mort, pétage de plombs et découvertes libidinales des Majeers (comprenez « Magiciens » dans le patois local), qui ne prenaient leur pied auparavant qu’en balançant des sorts à tout va. Mais nous ne vous en dirons pas plus, au risque de vous gâcher la lecture !
Autre chose plaisante, la culture de Wastburg. La prégnance alsacienne et lorraine est indéniable dans le roman ; au point que l’un des idiome (et population) de Wastburg et du pays limitrophe se nomme le « loritain ». Pour nous qui vivons en Alsace, inutile de dire qu’on avait presque l’impression que Wastburg se situait près des Vosges !
Mais le point fort de Wastburg, c’est le style de narration de l’auteur. Usant volontairement d’un idiome familier, et d’un humour noir affûté, il est rare de passer un chapitre sans rire (jaune) sur le sort des personnages dont on suit la vie (ou la mort). L’on serait même tenté de parler de l’émergence d’une fantaisie crapuleuse (ou de « crapule fantasy »), bien que d’autres auteurs doivent émerger pour confirmer la naissance du genre. Toutefois, à une époque où les gens se lassent rapidement avec l’absence de nouveauté, il y a le risque de voir là un nouveau syndrome de Tolkien pointer le bout de son nez. Ne soyons cependant pas aussi pessimiste ; le genre, s’il venait à en devenir un, apporte un vent de fraîcheur qu’on désespérait de voir en Fantasy, tant les politiques commerciales ont pris le pas sur les politiques éditoriales. Cela démontre que l’Imaginaire francophone n’a rien à envier aux auteurs anglophones, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire avaler à grands coups de tolkienisme ou de sous-Conan à la syntaxe douteuse. Bref, on ne saurait trop vous le conseiller : foncez !
2 septembre 2014 at 19:56
Je confirme, c’est du bon !
2 septembre 2014 at 21:38
Et on hâte de voir son futur projet 🙂