Feldrik Rivat, auteur aux éditions de l’Homme Sans Nom, a chaleureusement accepté de nous accorder une petite interview, que nous avons accompagnée d’une critique du premier tome des Kerns de l’Oubli !
Apocryphos — Tout d’abord, grand merci d’avoir accepté de répondre à nos questions ! Et autant commencer par le commencement ; pourquoi avoir choisi la fantasy comme genre de l’Imaginaire, plutôt qu’un autre ?
Je dirais que les Kerns de l’Oubli sont nés sur un coup de tête. Sur l’envie de relever un défi contre moi-même, de passer au statut de créateur et de suivre ma propre trace. La fantasy s’est alors naturellement imposée car elle s’accordait au mieux avec mes activités et passions du moment. Par mes études et mon métier d’archéologue, le passé et les civilisations anciennes m’étaient offerts sur un plateau, et avec elles ce fond commun véhiculé par les humanités successives qui voit l’Homme côtoyer le surnaturel depuis la nuit des temps. Sans me lancer dans un travail documentaire de fond, piocher et m’inspirer de l’existant suffisait à nourrir mon imaginaire de contrées semées de peuplades aux cultures étranges… Il ne restait alors plus qu’à en raconter l’aventure.
La spécificité de ton récit est l’adaptation d’un langage différent pour chaque personnage, passant ainsi d’un registre soutenu à familier, voire courant, ce qui n’est pas forcément le cas, ou de manière moins évidente, dans d’autres sagas, comme Le Trône de Fer. Cela t’est-il venu naturellement où voulais-tu trancher avec les autres œuvres structurant leur histoire autour de plusieurs personnages ?
Initialement, ma volonté était juste de trouver un outil efficace pour mener le tout. Faire vivre l’histoire depuis chacun de mes personnages, par un point de vue interne et tournant à chaque chapitre, s’est vite révélé un moteur des plus dynamiques. Il oblige à bouger les lignes en permanence, à tendre l’intrigue, et implique complètement le lecteur ! Passé pour moi la difficulté de construire la trame sur ce modèle, de planter un monde avec ses propres règles et cohérences, d’écrire et réécrire cinq versions du même roman, la question d’attribuer un langage propre à chacun a fini par se poser. Par la bouche d’un éditeur. Année sept de mon aventure, version cinq. Refus n°… je ne sais plus. Toujours est-il que ce n’est qu’à ce moment que j’ai eu l’énergie de reprendre une fois de plus l’ouvrage en travaillant séparément chacun des personnages ! Je peux donc dire que ce langage différencié est naturellement le résultat d’années de travail ! La sixième version a été publiée chez Pierregord, histoire de me voir produire un collector avant sa faillite, et de se voir de nouveau affinée pour la dernière édition, chez HSN ! J’ai alors découvert ce que voulais dire avoir un éditeur !
Ton univers est fortement inspiré de l’Antiquité, des cités grecques, notamment Spartes, pour la cité d’Almenarc’h et le début du roman n’est pas sans faire penser à 300. Est-ce un univers dans lequel tu continueras d’écrire directement après ta trilogie ? Ou t’aventureras-tu dans d’autres registres (qu’ils soient toujours en fantasy ou non) ?
Je poursuivrai mes explorations dans des univers flirtant avec les mythologies, qu’elles soient antiques ou plus anciennes. Les projets s’accumulent en attendant de poser le point final de ma trilogie. Mais mon goût de la transgression me fera tomber certaines frontières entre les genres, mon prochain projet sera d’ailleurs ancré dans un univers plus classiquement science-fiction. L’idéal à terme serait pour moi de parvenir à mener de front plusieurs travaux, quitte à en garder un sous le coude, comme un projet secret sur lequel je pourrais passer tout le temps voulu (enfin, presque…), avant de le laisser voler de ses propres ailes !
Question attendue ; quelles sont tes sources d’inspirations, celles qui t’ont donné envie d’écrire ? As-tu un modèle d’écriture vers lequel tu tends ?
En dehors, donc, du passé et des civilisations anciennes, je dirais que le cinéma reste le moyen le plus efficace de me faire voyager (attention, je parle bien du fait d’être physiquement dans une salle obscure : un film sur petit écran, même des meilleurs, se laisse pour ma part juste consommer…), la musique (plutôt instrumentale, les voix ayant tendance à me perturber) m’aide aussi parfois dans l’écriture. Dans l’écriture encore, j’ai besoin de voir des lieux. Mon récit arrive par un lieu. Cette unité seule suffit pour moi à trouver l’histoire qui s’y déroulera, et enfin, les personnages qui porteront le tout. Je n’ai pas la télévision (par choix, bien entendu), mais qu’il me soit donné de tomber par hasard sur un reportage dépaysant, et j’aurais vite de quoi alimenter un passage !
Pour ce qui est d’écrire, la chose m’est venue par frustration. Je me suis longtemps cherché, passant par divers formations, tuant mes mauvais rêves, ceux qui ne menaient à rien, pour ne garder qu’une envie grandissante, celle de créer des mondes. L’écriture m’a permis de concilier tous mes fantasmes, et comme les uns chassent vite les autres, je ne suis pas prêt de voir la source se tarir !
Reste la forme. Pour le compte, j’espère voir ma plume se stabiliser, comme elle semble le faire à mesure que je pratique ce sport. Mais de là à parler de modèle, c’est autre chose ! Je ne tombe pas facilement en admiration devant une œuvre, ou devant un artiste, car j’ai vite tendance à replacer chaque chose dans le vaste tout qu’est l’histoire de l’Homme… Je peux juste dire que parmi mes dernières lectures, avec les Hordes du Contrevent, Alain Damasio m’a marqué dans sa manière de ciseler sa langue.
Passons un peu au monde littéraire en général. L’on parle de plus en plus de la future prégnance des fameux « agents littéraires » sur le marché du livre. À l’heure où les littératures dites « de genre » sont sacrifiées au profit d’une littérature commerciale type 50 Shades Of Grey (comme le soulignait d’ailleurs Olivier Girard dans l’éditorial du Bifrost n°71), penses-tu qu’ils poseront un nouveau filtre à passer pour les auteurs de l’Imaginaire ?
Je ne connais pas encore très bien les dessous du monde du livre. J’avais pour objectif d’avoir un éditeur sérieux pour me donner un cadre professionnel dans lequel avancer, c’est chose faite avec HSN. Pour avoir connu précédemment un éditeur aux antipodes, je peux dire deux choses : le rôle de l’éditeur est essentiel ; un mauvais éditeur est le plus gros handicap pour un auteur naissant.
Maintenant, pour ce qui est des agents littéraires, je n’ai aucune expérience en la matière et ne serais pas des plus pertinents. Notre monde étant chaque jour plus riche et plus complexe, j’ose croire que l’émergence de nouveaux maillons dans ce vaste écosystème corresponde à des besoins concrets. Je ne sais pas pour ma part, si je supporterais l’idée d’avoir quelqu’un pour me dire ce que je dois faire ou non pour mener ma carrière. Rien que l’idée de devoir me plier au jeu de rendez-vous médiatiques, de me rendre dans des lieux plutôt que d’autres pour assurer des opérations de promotion, ou de changer d’éditeur parce qu’un agent, tout avisé soit-il, aurait décidé que quelque intérêt dépassait toute autre considération, me donne envie de dire qu’une telle personne n’est pas encore née pour me venir en aide !
Toujours dans le monde littéraire, comment perçois-tu le développement des livres numériques ? Penses-tu qu’ils puissent, à terme, menacer les libraires, les éditeurs, et même qu’elle neutralise l’image de l’écrivain vivant de sa plume car court-circuitant les intermédiaires naturels du métier du livre ?
Le numérique bouge très vite, et ce à chaque jour. Il permet de plus en plus de dépasser le cadre du simple livre pour donner toujours plus de contenu et d’interactivité. Une fois les voies ouvertes, le numérique devrait permettre d’offrir un bel outil pour qui saura s’en servir ! Ou pour qui en aura les moyens…
En attendant, ce que j’observe sur le terrain, c’est au moins l’inquiétude grandissante des libraires indépendants qui ne voient pas encore comment adapter leurs commerces à ce nouveau support.
Mettre des bornes de recharge en boutique, qui permette de redistribuer un pourcentage en fonction des ventes ? Dans ce cas, le rôle du libraire reste sauf car après tout, pour les habitués, le libraire ne fait pas que vendre des livres, il apporte ses précieux conseils ! Mais alors quid des grandes chaînes… dont la pertinence d’avoir de grandes surfaces pour présenter des supports physiques ?
Il est à noter que sans lieu où exister, l’auteur et le livre physique ont bien entendu du souci à se faire (je me vois mal dédicacer dans la rue habillé en saltimbanque, ou signer au marqueur des supports numériques…)
Pour l’éditeur, en dehors d’être un biais supplémentaire de diffusion avec ses propres règles, il n’enlève en rien à son rôle essentiel. L’éditeur n’est pas qu’un intermédiaire. Il a un rôle de soutien artistique, de conseil, et de correcteur auprès de l’auteur. Et il agit comme un aimant vis-à-vis du lectorat, en proposant des ouvrages cohérents avec sa ligne éditoriale. Il pose une marque certifiant son savoir-faire. Le numérique ne retire en rien à chacun de ces rôles.
En revanche, le numérique offre un biais de plus aux plus médiocres d’atteindre un lectorat, et par là d’étirer vers le bas cette longue échelle qui va de l’auteur aux millions de ventes à l’auto-publié qui ne prend pas la peine de se relire, du génie mondialement reconnu, au génie de quartier. Quand je vois des éditeurs papier pour le moins peu scrupuleux choisir de mettre la clef sous la porte pour monter des structures où le numérique est prépondérant, je me dis que l’offre n’a pas fini de s’étendre… Reste aux auteurs de tous poils à trouver leur place ! Et aux lecteurs…
Qui dit que le numérique ne sera pas vite balayé par d’autres supports qui ne se contenteront pas de singer du papier, rendant bien vite plus obsolète nos liseuses qu’un manuscrit du XVIème siècle?
Pour aller plus loin : critique des Kerns de l’Oubli, Tome 1
Site du livre : http://www.kerns.fr/
4 janvier 2014 at 02:34
[…] force de l’histoire, comme le dit l’auteur dans son interview, c’est justement la multiplication des points de vue à travers les différents personnages. Mais […]