Amateurs de littérature new-look aux délires bien trempés, je vous présente le Saint-Graal.
Moi & ce Diable de blues figure le roman infernal coup de cœur, plutôt coup de pieu dans l’aorte (pour peu que l’on concède le qualificatif de roman) dégluti par un tandem qui risque de faire parler de lui crescendo. Et d’ailleurs les critiques piquées d’euphorie fusent déjà depuis quelque mois sur la toile. Au risque de passer pour le dernier des béotiens, – quoi que je n’en ai cure, je vais y aller franco : la plupart des têtes d’affiche du thriller peuvent se rhabiller, ici, point de dénouements qui soulagent l’esprit, pas plus que de tissus cousus dans la demi-mesure. Sentimentalisme ? Introuvable entre les pages, on repassera donc pour l’eau de rose, voire ne serait-ce qu’une rosée d’amourette, que dalle, c’est pour les fiottes qui ont le timbre suave et fleur bleue, ça. Les investigations façon Grangé sont tout juste bonnes à foutre à la broyeuse après une pareille claque, car même si elles ont le mérite d’être imprégné d’un mal certain, pour ne pas dire d’un certain mal (oh, la bonne intention !) et d’une angoisse omniprésente, ce livre-ci les devance, (dans l’baba les écrivaillons !) portant le nom du Malin jazzy à coup d’blues en chair et en magma pour preuve significative, (et dont on notera le superbe et ô combien élégant clin d’oeil) et, cerise sur le space cake, nous renvoie directement les chatoiements du Pandémonium sur les rétines grâce à sa couverture sulfureuse. Richard Tabbi et Ludovic Lavaissière, – quoi que les gaillards n’en soient pas à leur premier coup d’essai littéraire, sont directement passés d’inconnus à maîtres en matière de dingueries romanesques/policières saupoudrées de surréalisme. (Ils gagnent à se faire connaître, les bougres !)
Le regretté Hélios ne daigne pas cracher le moindre rayon sur le Havre, – ville poudrière en proie aux démons de l’humanité. Ici, les parias, junkies vampiriques aux yeux d’hiver, barbaques refroidies et autres éponges à stupre se laissent aller à des nuits sans rêve, les cloaques exempts de prestige et de néon de palace n’abritant plus que les spectres amochés de soûlographes frustrés, irrémissiblement voués à errer parmi les bouteilles vides et les seringues usagées. Valdès, prota’ principal de ce fameux spectacle, lieutenant aux vertus déclassées (addictions à la pelle, incapacité à gérer son existence et j’en passe) – et dont le cerveau constellé d’aliénations, mis en bière depuis que ses axones sont devenus des grillades, va devoir suivre les pas d’un boucher, ou plutôt ses semences cadavériques dans l’espoir de mettre un terme à ses agissements. C’est sans compter sur les ombres de son passé trouble qui refont immanquablement surface. (Ceci expliquant cela, le whisky noie bien des choses de par son ambre, le genre de réminiscences qu’il peut tout aussi bien refléter) Pour ce faire, et avoir une chance de mettre le tueur en série sur le carreau, il fait équipe avec une bleue, Ivana, qui, sur tous les plans, se trouve être aux antipodes du vieux flicard déliquescent. Le duo, de prime abord invraisemblable, se complète néanmoins, Ivana étant une véritable pilule stimulante pour un Valdès dont les nerfs ont été repassés jusqu’aux bords par toutes sortes de saloperies. (Entre la reniflette, les pilons et la bouteille de Jack’, on s’occupe comme on peut sous la grisaille du Nord !) S’ensuit une chasse à l’homme au milieu des contrées normandes, – décor dépeint à merveille par nos plumes orageuses.
Je vous épargne les détails croustillants, vous en aurez suffisamment pour graillonner votre quatre heures après un rapide tour de celui-ci dans l’estomac ; le bouquin entamé, d’autres personnages secondaires viennent se greffer à la scène apocalyptique, tous avec leurs petites idiosyncrasies loufoques etc. (Pensée à Sainte-Hilaire et ses expertises expectorées à l’emporte-savate) Mais force est de constater que le couple Valdivana (Je me sens proche du blasphème avec cette trouvaille) se porte garant des piliers d’à peu près toute la trame et, axiomatiquement, le cours de l’histoire. Et nonobstant leurs affreux défauts, ils n’en sont que plus humains, et suivre leurs vicissitudes de seconde zone paraît finalement agréable, – même si franchement masochiste. En tous cas, ils sont atypiques, et valent plus à mes yeux qu’un protagoniste typé Mary-Sue de Lidl qu’on burinerait sans foi ni loi avec un pic à glace s’il venait à sortir du livre. (Sait-on jamais.)
Du reste, eh bien… nos deux auteurs ne sont pas en reste ! leurs styles vitrioliques, sous le signe de la luxuriance chimérique, d’une justesse entre réel et songe à lampadaire d’éclat clinique au coin d’une rue à l’envers, sans fiotte-riture et très loin du dégueulis maniéré (dont je fais preuve actuellement) s’associent/s’acoquinent avec une telle aisance qu’on ne saurait déterminer qui a écrit quoi, plutôt qui fait jaillir l’encre à la vermine poétique à tel ou tel moment, (Cf » Qui est le coupable de ce polar ? » préface d’Alain Rimbault ) ni même distinguer le Doppelgänger du mal siamois, tant le bordel ambiant et jubilatori-cosmique des descriptions, marquantes selon leur brièveté couplée d’intensité, nous retourne les synapses avant de les ciseler au couteau à cran. Tout est foutrement bien amené, des bizarreries dialogiques jusqu’aux nouvelles pistes entamées durant l’enquête, en passant par les hallucinations du Lieut’ déluré, qui compte bien creuser sa tombe directement dans son bar de prédilection. Et si, par instants, on perd un peu le nord, et la boussole tant qu’on y est, du fait d’une écriture embaumée de familiarités, voire de vociférations argotiques hispano-françaises (c’est à en crever de rire à même le parquet alors que l’ambiance de l’oeuvre est profondément vernie de noir… vous imaginez un peu le prodige des écrivains ?) et, parfois mêlée à cette écriture, un vocabulaire beaucoup plus soutenu, (on essaie vraiment de nous cramer le cerveau, j’vous l’dis…) l’ensemble tient la route et on finit par s’accoutumer au babillage jargonneux castillan/français de circonstance et qui, finalement, colle totalement au propos, sinon le sublime carrément. On se plaît même à imaginer le keuf déchu cracher son accent à couper à la scie sauteuse. Bref, vous l’aurez compris, (j’espère en tous cas, autrement ma chronique ne sert que pour des queues de prunes.) il s’agit d’éléments bien ficelés au sein d’un capharnaüm, c’est un peu comme si on vous servait avec des mains tentaculaires et crottées dans un quatre étoiles, ou des mets divins sur un comptoir jalonné de succubes, et pourtant on ne peut s’empêcher d’exulter en tournant les pages, – on vomit, derechef, on s’essuie la bouche, et les multiples cauchemars qui viendront tournoyer au creux de vos demi-sommeils, similaires à ceux du Lieut’, vous offriront l’hypnophobie jusqu’à la fin des temps et un billet pour le Monde Diaphane Plein d’Hommes en Blancs. (sauf si vous n’avez plus/pas d’âme, mais c’est un autre problème) Et, la folie qui émane progressivement des péripéties brouillera assurément les pistes jusqu’à la toute fin, (et quelle fin !) c’est d’ailleurs là tout le génie littéraire en sa plus noble, et tout à la fois crasseuse expression.
Je ne manque pas de signaler les nombreuses références musicales, allusions et évocations poétiques fuligineuses à souhait, le lecteur étant constamment baigné d’une atmosphère de ténèbres. (Et aussi de pluie havraise.) Manque plus que le corbeau Poesque à l’épaule de ce dernier, un spliff entre les doigts et un spleen dans le MP3 en mode » répéter » et je pense qu’il est parti pour faire un tour emmi la Géhenne et ses imperturbables corridors fumants et poisseux jonchés du même visage diabolique que renvoient les miroirs, le sien propre…
Véritable OVNI oscillant à sa guise et éhontément entre polar, horreur, poésie noire et traité de démonologie pour toxico’ décharné, cet ouvrage pleinement bipolaire offre son lot d’essences nouvelles et innovantes, pour un résultat éto-détonnant, sorte de trip maniaco-érotico-hitlérien (ou, plus vastement totalito-pychotique, ach ach ach) qui s’assume en long en large et en travers, jusqu’aux rebords de trottoirs bitumés d’horreur , le tout jeté sur une toile de fond faussement cosy. Un univers qui ne manquera pas de vous charmer, assurément audacieux et excentrique. Une bouffée d’air et d’éther dans le milieu ‘ policier ‘ , qui, il faut bien l’avouer, réchauffe quelque peu la même soupe insipide ces derniers temps. (Putain de généralité… t’en penses pas moins, hein ?) Tontons Lavaissière et Tabbi n’en veulent pas, de cette soupe infecte, – sondant volontiers les pans les plus tortueux de l’humain et préférant jouer la carte de l’ébullition sanguine, ils concoctent toute aise leur propre velouté parfum opiacé à base d’urbaines frénésies émotives et décadences sociétales, – et quelque chose me dit que ce potage s’enfile par intraveineuse en papier… Sur ce, agradable viaje !
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Extrait : Le jour se couche, la nuit rafle la mise. Propulsé dans un rêve, Javier Valdès arpente le bitume baigné de lune, direction peep-show. L’enseigne au néon croque les mensurations d’une pin-up ; deux ravissantes petites cornes se dressent au sommet de sa crinière flamboyante. L’établissement ouvre sa gueule et gerbe un cerbère buriné. Perçant l’écran de fumée artificielle, Valdès pénètre au coeur de la boîte à succions, lieu de perdition gorgé de mantes vinyle – option pattes-sécateurs. Une gueule cassée lui propose un rectangle de verre dépoli sur lequel gisent deux lignes de poussière d’ange. Valdès perquisitionne les fouilles de son veston crasseux, en fait gicler une coupure de cent reichsmarks et la roule avant de plonger tête baissée dans la coke. Snif dans le pif ! Toxico pratiquant. A la première prise il surprend le petit Anton, son spectre de père, traverser la salle à poil, un collier de clebs autour du cou ; à la deuxième sa vue se brouille et il change de décor. ~
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