Malevil

Photographie de Robert Merle prise en 1985

Photographie de Robert Merle prise en 1985

Malevil, écrit par Robert Merle et paru en 1972 est un récit post-apocalyptique qui fut l’objet d’une adaptation cinématographique en 1981. Certains hésitent à le qualifier de science-fiction du fait que le seul évènement lié serait l’unique catastrophe nucléaire soudaine dont on ignorera l’origine. Pourtant, ce serait méjuger l’intérêt de la science-fiction en la réduisant à sa simple cause alors que ses conséquences en sont le cœur même.

À l’inverse de Ravage, qui narre le périple d’un groupe d’individu cherchant à regagner la Provence depuis Paris, Malevil, qui se situe par ailleurs en Provence, conserve une unité de lieu ; le château du même nom. Le message n’est pas le même non plus. Ravage, écrit avant le développement de l’arme atomique, peint surtout une dystopie où la société est plongée dans l’assistanat le plus total à cause de l’évolution technologique et où l’électricité cesse d’agir pour ensuite entraîner une catastrophe que cette société incapable ne parvient pas à gérer.

Dans Malevil, c’est une explosion nucléaire, dont la cause est inconnue, qui décime la population et coupe la Provence du reste du territoire. Tout l’enjeu du récit sera la survie du groupe de personnages principaux, puis la construction d’une société sur de nouvelles bases, alors que Ravage ne faisait qu’esquisser ce tableau à la fin du récit. Les personnages brassent d’ailleurs fort bien les courants sociétaux de l’époque ; on y trouve le personnage principal, Emmanuel, archétype du dirigeant charismatique, Thomas, incarnant la raison et la science (étant même athée), ou encore Meyssonnier qui est communiste. À cela s’ajoutent des personnages portant les caractéristiques provençales telles qu’ils figurent dans l’imagerie populaire, comme La Menou s’exprimant le plus souvent en patois et au caractère bien trempé.

Les rôles de ces personnages sont d’autant plus intéressants que l’auteur les a définis afin qu’ils puissent s’articuler les uns par rapport aux autres. Tout le récit fonctionne sur une structure qui évolue comme un ensemble de rouages ; on assiste à l’émergence d’une société nouvelle portée par Emmanuel qui en posera les bases. Si ses décisions ne sont pas contestées, c’est grâce à son charisme et son pragmatisme. Ses actions et sa prégnance sont telles que les a théorisés Max Weber dans le modèle du chef charismatique, où c’est le pathos qui l’emporte sur la raison, et ce, même pour le personnage le plus rationnel du groupe ; Thomas. Il faut ajouter qu’à travers ce personnage, Robert Merle semble faire, implicitement, l’apologie du despotisme éclairé. D’ailleurs, l’évolution de l’histoire, ainsi que l’hostilité du chef autoproclamé de la bourgade de La Roque envers Emmanuel et la façon dont il triomphe semblent faire de celui-ci une véritable métaphore du Général de Gaulle. Un faisceau d’indices permet de faire des similitudes entre son parcours et celui du premier Président de la Ve République. L’émergence d’un animal politique alors inconnu grâce à une catastrophe, son isolement vis-à-vis d’un régime qui le marginalise, son triomphe grâce et contre une attaque armée qui met en péril la bourgade… Toutefois, ces interprétations n’engagent personne et chacun est libre d’y adhérer ou non.

Couverture Folio de Malevil

Couverture Folio de Malevil

Le récit est d’autant plus particulier qu’il est narré sous forme de journal, écrit à la première personne. Très fluide, il permet subtilement au lecteur de non seulement s’identifier à Emmanuel, mais aussi, et peut-être est-ce un peu pervers, à entrer dans ce culte de la personnalité autour de lui comme les autres personnages. L’on se retrouve pris dans la toile du charismatique Emmanuel, d’autant plus que c’est sa main qui nous raconte l’histoire. Les correctifs ou annotations apportés parfois par Thomas nous permettent d’aborder un point de vue neutre lors de moments où le pathos utilisé par Emmanuel atteignent leur paroxysme, comme sa parade de triomphateur à La Roque.

Par ailleurs, concernant les fondements apportés à la nouvelle société, l’on constate que la morale chrétienne est balayée. La catastrophe ayant mis la survie de l’espèce humaine au premier plan, c’est tout naturellement qu’Emmanuel décrète la fin de la monogamie après que la femme que Thomas épouse durant le récit l’ait trompé avec les autres habitants de Malevil. Nous sommes non pas dans l’immoralité, mais dans l’amoralité. Des priorités sont définies, elles sont rationnelles, et dès lors il apparaît absurde de consacrer encore le mariage avec ses connotations morales qui ne tiennent plus dans un monde qui a profondément changé, car nécessitant la primauté de la procréation devant les sentiments personnels. De même, Emmanuel, poussé par les habitants de Malevil, se retrouve proclamé abbé de Malevil afin de rompre avec le pouvoir spirituel exercé par le Pape et les prêtres sur les croyants, dans le seul but de préserver la souveraineté du château contre les manigances de Fulbert, faux prêtre qui arrive à La Roque peu de temps après la catastrophe et qui finit par en prendre le contrôle.

En définitive, Robert Merle s’inscrit, avec Malevil, dans la continuité de René Barjavel en donnant à la Science-Fiction française des codes et caractéristiques qui lui sont propres : la critique sociale et/ou la suggestion d’un modèle rejetant les bases de notre société. Robert Merle va même plus loin en ce qu’il prône dès le début la forme du despotisme éclairé là où Barjavel se servait de son personnage pour faire l’apologie d’une vie proche de la nature. Cela se constate notamment dans le dénouement où, à l’inverse de Ravage qui prônait des communautés limitées, Malevil amorce le début d’une conquête politique sur la région entourant le château. Si l’on voulait différencier grossièrement les deux romans, l’on serait tenté de dire que Ravage est une œuvre de gauche et Malevil une œuvre de droite, mais celle politisation n’engage que l’auteur de cet article.

Note de l’auteur : l’adaptation cinématographique de Malevil n’a pas été traitée volontairement. Et pour cause, l’auteur n’a pas visionné le film et, le confesse, n’a pas envie d’investir des deniers dans ce que la Toile présente comme un navet de tous les diables. Toutefois, s’il a l’opportunité de le voir un jour, il promet de préparer un billet dessus.

À propos de Fabrizio Tribuzio-Bugatti

Juscagneux, souverainiste pasolinien. Rédacteur en chef de la revue Accattone et président du Cercle des Patriotes Disparus. Voir tous les articles par Fabrizio Tribuzio-Bugatti

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