Publié aux éditions Les moutons électriques, en 2009, Gagner la Guerre de Jean-Philippe Jaworski décape tant il fait preuve d’originalité tout en maniant un style que l’on n’espérait plus trouver aujourd’hui, tant il ne répond plus aux critères de rentabilité.
Gagner la Guerre fait suite à la nouvelle Mauvaise donne du recueil Janua Vera, publié deux ans plus tôt. On y retrouve Benvenuto Gesufal, assassin de son état et membre de la Guilde des Chuchoteurs. L’histoire se déroule dans un monde imaginaire où la ville natale du personnage principal est largement inspirée des anciennes cités États italiennes, Florence, Venise et Gênes en tête. La narration est écrite à la première personne, et c’est indubitablement la grande force du roman.
Ce qui nous frappe d’abord, c’est la verve qu’use Jaworski pour son antihéros, mêlant astucieusement familiarités soutenues, voire vieillottes, avec de jolies envolées stylistiques, notamment lors des descriptions. La description des duels à l’épée, de l’environnement du personnage, tout fait qu’on a l’impression de plonger dans une fresque colorée, mais surtout vivante. L’on ne se rend plus compte des pages qui défilent, savourant les perles linguistiques de Benvenuto. Disons-le carrément, peu d’auteurs aujourd’hui peuvent se targuer d’user d’un tel niveau de langage, et peu de maisons d’édition décident d’en publier de semblables.
L’histoire n’est pas en reste. Les pérégrinations du personnage principal ont une intrigue politicienne en toile de fond où l’on sent les influences machiavéliennes et néo-machiavéliennes que l’auteur oppose, amenées subtilement au lecteur. À cela s’ajoutent d’autres ramifications, dont les péripéties propres au personnage que l’on suit et ses pensées, qui nous font comprendre avec de jolies tournures à que les seules choses qu’il réclame, ce sont les petits plaisirs de la vie… Certes, cela ne sera pas au goût de tout le monde. Les amateurs d’autofictions et de bit-lit passeront leur chemin, Gagner la Guerre est d’une complexité, n’ayons pas peur de le dire, hors de portée en comparaison de ces deux genres.
L’œuvre de Jaworski se distingue aussi vis-à-vis des autres romans de fantaisie qui inondent le marché de l’imaginaire. D’abord parce qu’il puise et fait une représentation d’une réalité historique, comme la cité de Ciudalia qui nous renvoie en pleine Renaissance italienne, mais aussi parce qu’on échappe au caractère manichéen des autres œuvres, notamment grâce à la dimension politicienne que revêt l’histoire. Il n’y a ni bon, ni méchant ; on est en plein dans l’application de la pensée de Machiavel dans un univers fantastique. Jaworski est parvenu à conjuguer qualité et innovation, ce qui n’est pas toujours facile.
La seule critique que ses détracteurs pourraient peut-être émettre à l’encontre du roman de Jaworski ; une certaine forme d’élitisme stylistique et scénaristique vis-à-vis de ce que produit l’oligopole éditorial. Pourtant, ce serait être de mauvaise foi que de critiquer une œuvre parce qu’il nivelle par le haut à l’heure où l’on fait tout pour favoriser le nivellement par le bas, notamment en ce qui concerne la langue française.
Enfin, il faut préciser que le roman approche des 700 pages. Si tout le monde peut s’y atteler, la durée de lecture dépendra de chacun. Ceux qui n’aiment guère les livres qui ressemblent à des briques sont prévenus, mais Gagner la Guerre vaut largement le détour pour passer outre. De plus, comme on l’a déjà dit, le style de Jaworski rend la lecture si agréable que l’on perd toute notion du temps.
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